L'endurance du mal: Serebrennikov signe un film essentiel


Comment filmer le mal sans complaisance ni facilité ? Avec La Disparition de Josef Mengele, Kirill Serebrennikov relève le défi et signe une œuvre furieusement intelligente sur la fuite et l’impénitence du criminel nazi. Porté par August Diehl, glaçant de froideur fanatique, le film explore l’âme noire d’un homme sans remords, habité jusqu’au bout par l’abjection. Entre éclats formels et sobriété hanékienne, Serebrennikov construit un récit éclaté, multipliant les époques et les visages de Mengele pour mieux saisir l’impossible repentir. Plus qu’un film sur la mémoire, une plongée vertigineuse dans les ténèbres d’une conscience qui refuse de céder.

La Disparition de Josef Mengele : Serebrennikov ou l’art de filmer l’impénitence


Kirill Serebrennikov n’a pas peur des abîmes. Avec La Disparition de Josef Mengele, le cinéaste russe affronte l’une des figures les plus ténébreuses du XXe siècle et signe une œuvre d’une intelligence cinématographique rare, aussi maîtrisée que dérangeante. Le film explore les fuites et la psyché d’un criminel nazi (le « boucher d’Auschwitz » Josef Mengele) habité jusqu’au bout par la froideur de ses convictions.


Une structure en miroir

Comme dans son Hamlet/Fantômes où les visages du prince du Danemark se multipliaient, Serebrennikov fragmente ici la figure de Mengele. Éclaté entre plusieurs époques et lieux – de l’Amérique du Sud à l’Europe –, le récit tisse la chronique d’une disparition qui est aussi celle de toute humanité et compassion. Le noir et blanc, réservé aux années de cavale, alterne avec la couleur des souvenirs d’Auschwitz, créant une œuvre d’une rigueur somptueuse.

August Diehl, ou l’endurance dans le mal

Le comédien allemand, déjà remarqué dans Inglourious Basterds, livre ici la performance de sa carrière. La force de l’œuvre du metteur en scène russe tient non seulement à sa narration multipliant les époques et sursauts de l’irascibilité d’un être sans pardon mais aussi à la maestria de l’interprétation d’August Diehl fiévreux de non-contrition, dégoûtant d’avilissement et coléreusement sur-vivant. Son Mengele est presque banal dans l’abjection. Atrabilaire, mais d’une lucidité glaçante, il incarne l’impensable : l’absence totale de remords. La scène où son fils tente en vain de lui arracher un semblant de regret devient un moment d’une intensité remarquable.


Une mise en scène entre sobriété et rage

Serebrennikov renonce ici aux plans-séquences tourbillonnants de La Fièvre de Petrov pour une esthétique plus hanékienne, nette et toutefois vigoureuse. Même si nous ne sommes pas dans l’ébriété des plans-séquences de La Fièvre de Petrov, ce qui émane de son Mengele est l’énergie de la mise en scène, ses trouvailles visuelles (le noir et blanc pour le récit de cette longue disparition, la couleur pour la réminiscence de sa vie à Auschwitz), et la fureur, l’instinct irréductible de survie de cet homme affreux mais digne, ne renonçant jamais même lorsqu’il est acculé. Chaque plan semble habité par une question : comment un homme peut-il vivre avec ses crimes ?

Plus qu’un film historique, une réflexion sur le fanatisme

Au-delà du cas Mengele, Serebrennikov interroge la persistance des idéologies mortifères. Les scènes où l’ancien médecin d’Auschwitz continue à théoriser sa hiérarchie des races, des années après la guerre, sont parmi les plus terrifiantes. Le mal n’est pas seulement dans les actes, suggère le film, mais dans cette capacité à continuer à croire.


La Disparition de Josef Mengele n’est pas un film facile. Il ne propose ni catharsis ni consolation. C’est une œuvre nécessaire, qui ose regarder en face une vérité dérangeante : le mal peut être ordinaire, tenace, et d’une effrayante banalité. Nul doute que ce qui intéresse Serebrennikov est cette endurance dans le mal, cette non-capitulation, cette non-modification des croyances d’un homme vivant le nazisme dans son âme jusqu’à sa mort, rendue ici à travers des scènes d’une rare intensité.




VioletteVillard1
10

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le 24 oct. 2025

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