Voilà déjà presque quinze ans que Yorgos Lanthimos étend sa misanthropie au cinéma comme un arbre étire ses branches. Sa Mise à Mort du Cerf Sacré me semblait bien réalisée mais assez vaine, dénonçant pour avoir le plaisir de dénoncer, ne parvenant pas à justifier son cynisme. Mais Lanthimos a l'air de pondre une pépite un film sur deux (Canine, The Lobster sont extraordinaires, Mise à Mort et Alps se tirent une balle dans le pied) alors j'attendais évidemment la Favorite.

En pleine renaissance, la Reine Anne est épaulée par son amie de longue date, la duchesse de Malborough, qui tire en réalité les ficelles. Cette dernière prend comme femme de chambre sa cousine Abigail Hill, héritière d'une maison dépouillée qui a été vendue par son père pour rembourser des dettes de jeu. Mais Abigail rêve d'une chose, retrouver un titre et un rang.

Voici donc notre bon Lanthimos qui trouve un nouveau terreau fertile pour sa moquerie acerbe : la royauté. Rien de très original dans le fait de taper sur des nobles, mais le film se démarque néanmoins des réalisations précédentes du bonhomme. Finis les acteurs volontairement inexpressifs et monolithiques, finies les discussions incongrues ("ma montre va jusqu'à 8m de profondeur" - on s'en fout mais ok). Cette fois, Lanthimos laisse ses acteurs exploiter leurs talents. Olivia Colman et Rachel Weisz sont quasi parfaites, mais il faut reconnaître que Emma Stone est en-dessous et souffre de la comparaison avec ses partenaires, son jeu étant moins personnel; il lui manque cette étincelle de folie ridicule qui brille parfois parfaitement chez les deux autres personnages féminins.
Nicholas Hoult s'en sort bien et il a décidément un visage trop parfait pour être humain, ou ne pas être le frère de Gerard Way, et j'ai eu plaisir à retrouver Mark Gatiss, même pour un petit rôle, et même si j'ai eu du mal à voir autre chose qu'un Mycroft à perruque poudré comme un gâteau.

Et s'il laisse ses acteurs exploiter leurs talents, Lanthimos s'est également donné de nouveaux moyens. Les décors et les costumes sont magnifiques de bout en bout, et le film garde tout le long un fort caractère pictural.

D'autres aspects, en revanche, n'ont pas changé par rapport aux autres productions du réalisateur grec. On retrouve ainsi cette manie d'écraser ses personnages dans d'immenses pièces de 5m sous plafond, une mise en scène du ridicule et un cynisme moqueur et assumé. Ainsi la Reine est une bipolaire dépressive élevant 17 lapins, la Duchesse est ivre de pouvoir et imbue d'elle-même et Abigail est vénale et manipulatrice.
Mais ce cynisme est bien plus contenu que l'on n'aurait cru. Là où The Lobster et Canine finissent sur

une mort éventuelle ou un oeil arraché


, là où Mise à Mort finit avec

le meurtre d'un enfant


, La Favorite s'achève sur

un parallèle avec les viols répétés subis par Abigail, forme ultime de soumission d'une Reine qui comprend que rien n'est aussi pur qu'il n'y paraît. Personne ne gagne dans ce jeu de subordination et de soif de pouvoir, et toutes les trois sont plus isolées que jamais malgré l'apparente amitié entre deux d'entre elles.


Ceux qui apprécient Lanthimos pour sa misanthropie assumée seront donc peut-être déçus de voir qu'elle mène moins loin qu'elle ne l'a fait par le passé, et viendront douter de l'utilité de la segmentation en chapitres.

Ajoutons à cela quelques longueurs et quelques scènes qui ne servent pas vraiment à grand chose.

Trop long, trop calme, ou trop cru, trop violent... faire un bon film relève du miracle. En s'aventurant dans cette nouvelle voie, Lanthimos livre un film moins froid et cru que d'habitude, et l'on ne peut que valider les choix de décors, de direction d'acteurs, de musique. Et bien que le mariage entre les anciens éléments de réalisation et les nouveaux ne fonctionne pas toujours, La Favorite reste un film intéressant et prenant. Reste à voir si le prochain long métrage saura mieux mélanger les genres.

QuentinYuanMalt
7
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le 26 févr. 2019

Critique lue 226 fois

Yuan Cloudheart

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