Quand on évoque le nom de Liliane Bettencourt, il revient immédiatement en mémoire l'histoire de cette dame fort riche et un peu sénile, héritière de l'empire L'Oréal, courtisée par Eric Woerth pour le financement de la campagne présidentielle du petit Nicolas.
On se souvient moins directement d'une première affaire, à base d'abus de faiblesse, de captation d'argent et d'environnement malsain d'un pseudo-artiste, François-Marie Banier, qui lui faisait signer tout et n'importe quoi à son profit.
C'est cet épisode dont s'empare Thierry Klifa avec cette Femme la plus Riche du Monde... Mais de loin et sur un faux rythme.
C'est que Klifa commence par présenter cette affaire sur un ton de comédie et mordante, dressant le portrait d'une femme a priori fantasque et qui ne s'en laisse pas compter, mais qui s'ennuie dans son carcan. Et si l'on a beaucoup de mal à imaginer que la véritable Liliane Bettencourt ait pu s'encanailler dans une boîte gay, sa drôle de rencontre et son histoire trouble d'amitié font immédiatement mouche, grâce à un duo de très haute volée, magnétisé par Isabelle Huppert, toujours aussi efficace, et Laurent Laffite, qui joue les prolongations du rôle qu'il tenait dans le récent Classe Moyenne.
Il trouve le juste équilibre entre la franchise de son Tapie devenu cabotin et l'exubérance de Zaza Napoli, conjuguée avec le verbe acéré et acide, avec juste ce qu'il faut de vulgarité de parvenu. Isabelle, elle, est égale à elle-même, joueuse, abandonnée et inaccessible à la fois.
Ce duo est le véritable moteur d'un film de grande bourgeoisie évoluant hors-sol, que n'aurait pas renié Claude Chabrol, avec, peu à peu, cet artiste qui tisse sa toile autour de sa victime, tour à tour charmeur et pressant, le sourire toujours carnassier et prêt à laisser libre cours à une vacherie. La complicité toxique, sous la caméra de Thierry Klifa, acquiert une sorte de légèreté et de désinvolture qui font penser que rien n'est grave et que tout est propice au rire...
… Jusqu'à ce que La Femme la plus Riche du Monde ne se transforme peu à peu en tragédie, en ce que son héritière fantasque devient soudain fragile, aveuglée et exploitée par son entourage et son artiste médiocre. Toute la maîtrise de Klifa est là : ne jamais appuyer cet abus de faiblesse dans toute la première partie de son effort, pour mieux remettre les pieds sur terre ensuite.
Cette deuxième partie, plus dramatique, est aussi l'occasion de confronter frontalement son duo monstre à la fille Bettencourt, qui s'inscrit à l'opposée de sa mère, et le majordome de la famille, longtemps impassible et dont la loyauté est mise à l'épreuve.
Si Raphael Personnaz prend à bras-le-corps le stoïcisme constant de son personnage, Marina Foïs, elle, hérite d'un rôle a priori ingrat, à commencer par son look et sa coiffure improbable. Mais Klifa jette un regard nouveau sur l'affaire dès lors qu'il en dévoile, par les enjeux contradictoires, certains rouages d'une réalité dont le public n'avait pas forcément conscience dans la médiatisation de cette affaire. En effet, coincée entre la volonté de protéger sa mère, sa haine pour Banier, son image publique négative et la préservation de l'empire familial, elle porte toute les difficultés de cette situation devenue inextricable sur laquelle les objectifs des médias ont été braqués à l'époque.
Parsemé de témoignages « face caméra » pour encore plus troubler la frontière entre la réalité de l'histoire et la fiction prenant pas mal de libertés, le film ne cesse de questionner son cœur par le prisme de son duo, qui n'est pas seulement animé de sa relation d'emprise. Selon Klifa, il y avait plus que cela entre la milliardaire et le dandy sans-gêne de Franprix, débordant largement le rapport filial, semblant inexistant entre mère et fille. Il n'y avait pas que les passions communes, ou encore l'attirance pour l'art. C'était plus équivoque, au moins pas aussi à sens unique que ce que la vérité judiciaire a fini par décrire.
Banier venait au moins soulager un symptôme : celui de la solitude, tout en imitant un Raspoutine moderne, auquel la fille ne manquera pas de le comparer. Doublé d'une espèce de fou de la reine, tournant autour d'elle pour la distraire.
La solitude des sommets, voilà sans doute le prix le plus lourd à payer, comme le souligne un plan final mortifère.
Behind_the_Mask, parce qu'il ne vaut rien.