« She was beautiful when she died, a hundred years ago. » VON HELSING

Après le succès fondateur de Dracula, le studio ne tarde pas à capitaliser sur cet engouement. Ce premier film, avec Bela Lugosi dans le rôle-titre, a marqué l’imaginaire collectif et posé les bases du mythe vampirique au cinéma. Pour continuer sur cette lancée, Universal décide de donner une suite à ce classique du cinéma d’horreur. Cependant, au lieu de faire revenir Bela Lugosi dans le rôle iconique du comte, les producteurs choisissent d’élargir l’univers narratif en s'intéressant à un personnage inédit : la fille de Dracula.

Garrett Fort, scénariste de Dracula et de Frankenstein, deux piliers du cinéma fantastique classique, écrit cette suite. En tant que scénariste chevronné, il connaît parfaitement les codes du genre gothique et les attentes du public. Son implication dans ce projet renforce l’ambition du studio de proposer une suite cohérente, à la fois respectueuse du ton initial et innovante dans son traitement.

Lambert Hillyer, réalisateur expérimenté, notamment dans le western et le film d’action, fait ici une incursion remarquable dans le cinéma d’horreur. Il va parvenir à conjuguer les éléments traditionnels du film gothique avec une approche plus psychologique, centrée sur le conflit intérieur de la protagoniste.

En 1936, Dracula’s Daughter sort en salle et bien qu’il ne rencontre pas le même succès populaire que son prédécesseur, il s’impose comme une œuvre singulière et audacieuse dans l’histoire du cinéma fantastique.

Le film reprend exactement là où le précédent s’était arrêté. Le corps inanimé de Dracula repose dans sa crypte, un pieu fiché en plein cœur, tandis que le professeur Von Helsing, encore sur les lieux du crime, est arrêté par les autorités. Il est désormais accusé d’homicide, la justice ne pouvant évidemment concevoir qu’il ait tué un vampire. Von Helsing tente de convaincre les enquêteurs qu’il ne s’agit pas d’un meurtre ordinaire mais d’un acte de légitime défense contre une créature surnaturelle.

Edward Van Sloan reprend son rôle du professeur Von Helsing avec la même rigueur, le même calme analytique que dans Dracula. Sa présence donne de la continuité à l’univers narratif. Toutefois, bien que central au départ, son personnage s’efface peu à peu au profit d’un autre personnage : la comtesse Marya Zaleska. Le film déplace ainsi l’attention du combat entre le bien et le mal vers une exploration plus intime et nuancée de la condition vampirique, symbolisée par cette nouvelle protagoniste tourmentée.

La comtesse Marya Zaleska, fille de Dracula, est convaincue que la mort de son père mettra un terme à la malédiction familiale, Marya brûle d’espoir : elle veut être libre, humaine, délivrée de ses pulsions nocturnes. À la différence de son père, elle ne revendique pas sa nature vampirique ; au contraire, elle la rejette. Là où Dracula dominait et fascinait, Marya souffre et doute. Elle est née vampire, elle n’a jamais choisi cette vie, et son combat est profondément intérieur. Ce renversement de perspective offre au film une dimension mélancolique et existentielle rare pour un film d’horreur de l’époque.

La comtesse est une victime de sa propre condition : elle aspire à la rédemption mais reste prisonnière de ses instincts. L’un des moments les plus audacieux du film, et sans doute l’un des plus commentés, est cette scène où elle invite une jeune femme dans son atelier pour poser, prétendument pour une peinture. La tension érotique y est palpable : la jeune modèle se dénude partiellement, et la comtesse l’observe, troublée, fascinée. Cette scène, pour l’époque, est chargée d’une sensualité que l’on peut interpréter comme un sous-texte lesbien. Il s’agit peut-être de l’une des premières représentations implicites d’une attirance féminine au cinéma hollywoodien, ce qui donne au film une modernité inattendue.

Gloria Holden, grande comédienne de théâtre, ne souhaitait pas jouer dans un film d’horreur. Elle considérait ce genre comme peu prestigieux, et cette réticence transparaît dans son jeu… Pour le meilleur. Son expression fermée, son port altier, son regard à la fois glacé et plein de tension intérieure donnent vie à une comtesse à la fois impérieuse et vulnérable. Sa froideur apparente dissimule un feu intérieur, un combat contre le désir et la damnation. Cette retenue forcée donne une profondeur inattendue au personnage et contribue à faire de sa performance l’une des plus marquantes du cinéma fantastique des années 30.

Dracula’s Daughter n’est pas simplement une suite au Dracula de Universal ; c’est une œuvre à part entière, plus psychologique, plus tragique, presque introspective. Là où le film original jouait sur l’horreur pure et la figure du monstre dominateur, cette suite propose une méditation sur la dualité entre désir et rejet de soi, sur la solitude et la quête d’humanité. Par son atmosphère brumeuse, son héroïne ambivalente, et ses audaces thématiques (notamment sexuelles), le film reste aujourd’hui encore un objet fascinant, avant-gardiste et profondément humain.

StevenBen
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le 15 juil. 2025

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Steven Benard

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