Après avoir beaucoup aimé Une image vivante, le très méconnu Yasuki Chiba me ravit une nouvelle fois avec cette étonnante chronique sociale mêlée de film choral d'une sobriété et justesse qui confine à l'évidence.
Il y a, tant dans l'écriture, la direction d'acteurs que dans le sens du cadre, une assurance contenue et modeste qui ne cherche jamais à s'imposer, d'où une déception chez certains qui chercheraient quelque chose de plus "narratif" et consistant. Toujours est-il que la caméra de Chiba saisit très bien la topographie des lieus, jouent des lignes perpendiculaires, des cadres dans le cadre, du mouvement des comédiens dans l'image... avec une maîtrise tout en discrétion.
Entre de vrais extérieurs et des décors en studio, cette petite production indépendante nous présente une douzaine de personnages, dont beaucoup d'enfants, confronté à la misère, la sur-natalité, l'alcoolisme, le chômage, la promiscuité, le travail en usine dès le plus jeune âge (l'école primaire se fait donc en soirée), la prostitution... Tout cela est abordé naturellement, sans jamais surligné ses effets et son propos. Ce n'est pas non un film à thèse, juste un radiographie à un instant donné de la vie de plusieurs individus : une famille prend discrètement le large pour ne pas avoir à affronter les dettes qu'ils doivent aux propriétaires, une jeune fille est mélancolique de voir toutes ses amies quitter l'école pour devoir travailler, un dandy un peu ridicule subit les moqueries de sa famille, une mère qui vient d'accoucher est contrainte de reprendre le travaille après la disparition de son mari qui dépense leur argent en jeux et boissons, un couple d'artistes organise une représentation sur les quais pour espérer gagner un peu d'argent... On trouve même des immigrés coréens qui sont montrés avec chaleur et bienveillance, sujets pourtant très délicat pour la censure.
Les acteurs sont formidables, toujours dans le bon tons, y compris les enfants qui sont d'un naturel saisissant.


En sortant des 63 minutes du film, je me demandais donc comment le gouvernement avait laissé passer un tel film, qui sans être misérabiliste dresse un portrait sévère et réaliste d'une partie de sa population. En réalité, le gouvernement ne l'a tout simplement pas laissé passé et a interdit son exploitation et il ne sortit qu'en 1946

anthonyplu
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le 5 oct. 2018

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