3 ans après Crimson Peak, film quelque peu décevant dans son ensemble, Guillermo Del Toro revient vers nous avec La Forme de l’Eau. Et je vais vous dire, quel comeback ! Une question se pose : ce film mérite-t-il les 13 nominations aux Oscars 2018 ? La réponse : Oui. Une deuxième question apparaît alors : Pourquoi ? Eh bien nous allons y répondre.


Abordons donc ce qui, pour moi, est le point le plus important qui transcende le film : la représentation des personnages par rapport au Cinéma.


Cette réflexion se fait selon 2 bases :



  • La première est l’utilisation permanente du cinéma en tant que métaphore : durant toute l’œuvre, les films représentés à la télévision ou même au cinéma servent à métaphoriser l’état émotionnel du personnage, son fil de pensée, le rythme même du film, sa musique…

  • La deuxième est le premier plan du film, avec un détail en particulier : c’est un plan séquence visitant une ruine (symbolique mythique) représentant en réalité l’appartement de l’héroïne en remontant dans le temps pour arriver au point de départ de l’histoire. Le détail réside dans l’emplacement de l’appartement : au-dessus d’un cinéma.


Par ces éléments, on est donc en droit de se demander si ce qui nous est montré et ce qu’incarnent les personnages sont représentatifs du cinéma également. A ne pas oublier que ceci n’est que théorie et que je ne me base sur aucune autre analyse faite ou écrite.


Se dégage alors selon moi 3 personnages représentant 3 choses différentes :



  • Elisa, l’héroïne, représente le cinéma muet d’avant 1927. Caractérisée par son mutisme, la musique, la danse et ses expressions faciales, c’est une figure qu’on pourrait qualifier « d’obsolète » du cinéma.

  • La créature représente le cinéma B de genre années 50-60. Faisant référence évidemment à L’Etrange Créature du Lagon Noir de Jack Arnold de 1954, il incarne le cinéma du Drive-in, un genre mort, ainsi qu’un cinéma d’horreur désuet qui ne fait plus peur à personne (par rapport à tous les films jumpscares qui pullulent de nos jours).

  • Le colonel Richard Strickland, l’antagoniste, représente une ancienne forme d’écriture du personnage, le pur manichéisme. Complètement absolu et résolu, il est ancré dans son cliché de la famille américaine des années 50 et est une figure dépassée par rapport aux enjeux existants dans notre monde actuel. C’est d’ailleurs pourquoi sur les 3 personnages, il est le seul à mourir car trop en marge du cinéma contemporain.


Tout cet aspect métaphorique est également renforcé par une séquence en particulier : celle de la danse fantasmée entre Elisa et la créature. La voix est redonnée à Elisa, on passe en noir & blanc. En plus d’être un hommage au cinéma classique hollywoodien à travers la comédie musicale, ce genre est représentatif de la forme de spectacle parfaite du cinéma. La réunification de 2 formes oubliées et considérées comme obsolètes, mais faisant partie de l’histoire du cinéma, créant la forme idéale du cinéma classique et parlant de notre cinéma actuel et de son héritage.


Un gros aspect positif du film également est le défi face au cinéma contemporain : le défi organique.


L’organique a toujours un but intéressant dans le cinéma de Del Toro, par rapport à notre capacité de croyance et cette volonté de rendre palpable ce que nous voyons. Et aujourd’hui, à l’air du cinéma numérique où tout blockbuster semble être fait entièrement sur fond vert avec des effets spéciaux à tout va jusqu’à en faire une boulimie, utiliser l’organique pour créer du fantastique est un challenge. Et personnellement, le défi est réussi.
Que ce soit le travail sur le toucher, la matière, les sons, tout est maîtrisé et donne vie à la créature. Le déguisement ainsi que le maquillage sont somptueux. Cette créature est là pour nous prouver la puissance du cinéma organique face au cinéma numérique.


Enfin abordons le point de vue technique. Tout règne en maître. Que ce soit la photographie, la musique, les personnages, le montage, le rythme, etc. Tout est maîtrisé, malgré quelques erreurs de montage, de découpage, d’écriture ou une ou 2 scènes arrivant comme un cheveu sur la soupe (comme celle où on apprend que le serveur de tarte est homophobe et raciste).
On sent l’inspiration des films de Jean Pierre Jeunet, notamment Le Fabuleux Destin D’Amélie Poulain (au niveau des lumières ou de l’utilisation récurrente d’accordéon dans la musique).
Le film respire la poésie entre Elisa et la créature. L’union entre 2 imperfections pour créer la perfection.


C’est un film qui utilise le cinéma pour parler du cinéma, et ça c’est beau.


(Edit : Après discussion avec un ami, il est vrai que le personnage de Giles, le voisin d'Elisa, est en fait Del Toro se mettant lui-même en scène : un artiste qui se dit incompris et qui va diriger les autres personnages. Préférant le dessin (l'organique) à la photographie (le numérique), la théorie se confirme avec la phrase "Green is the new red", faisant référence directement à Crimson Peak où la couleur rouge était primordial. Mais le film n'ayant pas fonctionné, La Forme de l'Eau, où la couleur verte est privilégiée, est donc amené comme le successeur de cet échec)

The80sGuy
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le 4 mars 2018

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