J’ai quasi-instantanément voulu comparer ce film à True Detective, mais après le gars qui a présenté le film en a parlé, et du coup c’est fichu maintenant. Merde. Mais comme heureusement vous n’étiez pas tous là à la Cinexpérience #2, je vais quand même expliciter brièvement cette mise en parallèle.
Sur le fond, déjà : un petit retour dans le passé (1980 ici, 1995 dans True Detective), deux détectives qui clairement, ne sont pas faits pour s’entendre, ni même se respecter. La découverte d’un corps mutilé, avec une image qui m’a beaucoup marquée : ces fesses rondes et blanches, comme celles de la prostituée retrouvée au début de la série. Et puis le cadre : ces coins paumés à me coller des angoisses, ces fleuves poisseux, ces villages au fin fond de l’abandon social et où clairement « nobody’s gonna split the atom ». Mais bizarrement, autant dans True Detective, cette misère humaine me serrait vraiment à la gorge, autant là, je m’y identifiais, ayant aussi eu le malheur de grandir dans un village (pas aussi reculé heureusement, mais tout de même : même dans la ville de 80 000 habitants où j’étais scolarisée un temps, je sentais que la société avait comme arrêté de progresser). Je trouvais ce sentiment plutôt bien rendu. Celui, aussi, qui veut que fatalement, tous se connaissent, tous soient liés, rendant plus grave encore la faute, puisqu’elle devient alors humiliation personnelle.
Mais avant d’aller plus loin, penchons-nous sur la forme, et quelle forme ! Une image sublime, des paysages d’une beauté époustouflante dévoilés, ou devrais-je dire déroulés par des drones dont l'on ne peut que jalouser le point de vue quasi-divin. Des couleurs qui enchantent l’œil, peut-être pas au point d’un Sympathy for Mr. Vengeance, mais presque. Au-delà, une caméra qui offre toujours une perspective ou un cadrage intéressant, qui casse la monotonie d’un scénario somme toute assez classique. En ce sens, cela m’a aussi évoqué Memories of Murder, qui ne brille finalement pas par ce qu’il raconte, mais la manière dont il le fait… et le sentiment d’insatisfaction qu’il laisse derrière lui.
A ce titre, je comprends bien que certains seront frustrés par La Isla Minima, qui ouvre quelques portes sans jamais les fermer. J’ai le sentiment que le spectateur perçoit cela comme une trahison, un sentiment d’injustice. Comme si c’était un devoir de donner toutes les réponses. Moi, si ce n’est pas pour me faire « une grande révélation où toutes les pièces s’enclenchent subitement », j’ai toujours trouvé ça un peu décevant, les réponses. Ah, finalement, ce n’était « que ça ». Alors peut-être que justement, on espère la grande révélation. Il y a pourtant dans ce film un souci de réalisme qui rend clairement cette attente impossible.
C’est certes facile de s’abriter derrière le réalisme pour justifier certains défauts de rythme, de scénario, etc… Je me permets pourtant de défendre ce film à cet égard car je ne trouve pas qu’il abuse de cette ficelle. Dans l’ensemble, le rythme de l’enquête – peut-être un peu lent bien que je n’en ai personnellement pas souffert, distraite que j’étais par mon ravissement oculaire – me paraît tout à fait crédible, justement parce que déséquilibré.
ICI COMMENCE UN PARAGRAPHE RECENSE A 7 SUR L’ECHELLE DES SPOILERS
Le premier suspect, on l’obtient très vite, et les preuves s’amassent tout de suite contre lui de façon accablante. Pas de suspense, alors ? Il reste encore pourtant des rouages à découvrir, et ce sont ceux-là qui prendront du temps, car trouver un coupable n’est finalement qu’un début.
FIN DU SPOILER (je sais, je pourrais utiliser les balises appropriées, mais j’ai une certaine affection pour ces avertissements à l’ancienne qui vous autorisent toujours à rejeter la responsabilité sur moi si vous n’êtes pas capables de résister à votre curiosité).
Et puis, je l’ai mentionné, il y a des doutes, des pressentiments, des questionnements qui ne seront jamais élucidés. Pourtant, et c’est là pour moi l’un des éléments les plus réussis du film : ils sont mineurs. Potentiellement majeurs, que dis-je, centraux dans leur élucidation, mais tels que présentés dans l’histoire, on s’en soucie à peine. Après tout, a-t-on vraiment envie de découvrir la vérité, ou juste de s’enorgueillir ? La profondeur des faits compte-t-elle vraiment ? Tous les détectives ne sont pas conduits par une curiosité fondamentale, par le désir de faire la lumière sur les zones d’ombre. Il y en a qui veulent simplement faire leur job et rentrer chez eux.
Ce qu’on ne sait pas, peut-être que ce n’est rien, peut-être que c’est tout. Mais même l’impact, on ne prend pas la peine de le mesurer. On laisse ce qu’on peut en suspens, car on n’a au final qu’une volonté : passer à la suite. Alors cette suite, bien sûr, on n’y assiste pas, et il ne nous reste plus qu’à nous torturer l’esprit toute la nuit ou essayer de recouper les indices avec d’autres spectateurs restés sur leur faim. Pourtant, en quelques heures, on s’en apercevra nous aussi : c’est déjà oublié.
Et encore ! Au moment même où s’élèvent les incertitudes, on sent en même temps dans son cœur un abandon par avance : on n’a pas envie que le scénario reprenne maintenant. On sent instinctivement que le temps est écoulé, que le cycle touche à sa fin, et le courage vient à manquer à l’idée d’en relancer un nouveau. Une conclusion, bien qu’incomplète, semble méritée.
Ce qui restera, ce sont quelques couleurs, quelques compositions, derrière lesquelles le scénario s’effacera peu à peu. Une ambiance délétère qui étouffera tout souvenir précis. Et quand cela aussi aura commencé à se faner, alors ce qui a pu se passer là-bas, dans ce petit village du nord de l’Andalousie, n’aura vraiment plus d’importance. Pourquoi, alors, s’en soucier maintenant, alors que l’on peut déjà passer à autre chose ?

Shania_Wolf
8
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le 3 juil. 2015

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Lila Gaius

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