Comment expliquer le succès critique de La La Land? Il me semble voir un début d'explication dans la condition de nombreux critiques de cinéma, dont beaucoup ont tenté sans succès de réaliser des films, ou d'exercer le métier d'acteur. Par conséquent, voir à l'écran la réussite qu'on a toujours recherchée, celle que l'on n'a jamais pu saisir, cela fascine et rend admiratif. A cela, rajoutez un peu de références cinématographiques que seuls les connaisseurs verront et vous aurez suffisamment flatté la critique pour qu'elle vous accorde ses faveurs. Psychologie de comptoir, généralisation hâtive? Oui, peut-être, mais ça n'en a pas moins un fond de vérité pour autant.


Ayant récemment eu la chance de voir Inside Llewyn Davis, des frères Coen, il me semble voir aujourd'hui dans La La Land un anti-Inside. C'est que chez les frères c'est la condition d'artiste qui les intéresse. Tout le film se concentre sur la capacité créative d'un chanteur de folk, cherchant péniblement le succès sans jamais y parvenir. Il est bon, excellent même, le problème n'est pas là. Il ne répond pas à l'industrie, il n'est pas le produit adapté pour le marché. Par conséquent, même à une époque plus ou moins contestataire, il échoue, peu à peu. C'est toute l'injustice d'un système qui privilégie l'économie sur l'art, le rendement sur la beauté, que montrent les frères Coen avec une grande justesse. Ce sont les failles qui intéressent, révèlent les individus et offrent une représentation véritablement humaniste.


La La Land est l'exact inverse de tout cela. Bien entendu, le film prétend être plus que la minable et vaine recherche de célébrités de ses deux personnages fétiches. Il faut montrer leurs rêves, leurs déboires et leurs difficultés. Mais il ne s'agit finalement que de tests, de passages bien programmés dans un script, rien de plus. La longueur du film permet de montrer la répétition d'insuccès (immérités évidemment), jusqu'à ce qu'on atteigne le fond, pour finalement en ressortir et atteindre le sommet. Le sommet de quoi? De l'art? Certes non. Peu importe qu'Emma Stone devienne effectivement une actrice importante dans un film. Jamais on ne dit de quel film il s'agit, quel peut être son sujet etc. Le seul élément que le réalisateur estime importantspour le spectateur est qu'enfin la bonne Emma devient une star. Enfin peut-elle acheter son starbucks en étant admirée de tous, comme elle admirait plus tôt l'actrice qui lui demandait son café lorsqu'elle n'était qu'une serveuse. Etre une serveuse, n'est-ce pas, voilà qui est bien méprisable et ne fait pas rêver. On n'imagine pas Damien Chazelle conter l'histoire d'une serveuse de bar... pas si elle ne devient pas une célèbre actrice à la fin! Le réalisateur met ainsi le doigt sur ce qui importe pour son personnage féminin : la célébrité. La réalisation artistique n'est qu'un élément sans importance, puisqu'il n'est montré à aucun instant. Ce n'est donc pas de l'artiste dont parle La La Land mais de l'acteur de téléréalité. Celui qui vit par le regard des autres et pour celui-ci.


Le personnage de Ryan Gosling, lui, diffère un peu de ce schéma de vedette du star-system. Mais il véhicule la morale même qui fait "réussir" Emma Stone, et que l'on trouvait déjà dans Whiplash : il suffit de se battre et de persévérer pour obtenir ce que l'on mérite et que l'on désire. C'est le personnage masculin qui, le premier, réalise ses ambitions. Avant tout, être célèbre, connu, quitte à laisser de côté l'ambition du club de jazz. Mais à nouveau, comme dans toute bonne téléréalité, c'est la stratégie qui compte. L'apparence mise au service de cette envie d'obtenir ce club. Ad augusta per angusta, en gros. Ouep, il sacrifie son rêve et la naïve Emma le lui fait bien remarquer, mais c'est parce qu'il voit loin bien entendu! Et lorsqu'Emma a renoncé définitivement, humiliée par ses échecs, le bon Gosling vient la secouer. Il ne la console pas, car pour Chazelle ce serait là faire preuve de faiblesse. La La Land n'est pas un film d'amour mais un film de dureté, où prime l'intérêt personnel, mû par les désirs vains construits par nos sociétés. A Emma de se taire, d'arrêter de jouer l'enfant... Les ratés ne sont que des enfants, c'est bien connu, c'est bien elle qui n'est pas assez endurante. Le problème ne vient donc jamais d'un système établi, d'une façon dont la production hollywoodienne fonctionne. Surtout ne pas attaquer le fétiche. Effectivement, Chazelle n'est pas Lynch... Il s'agit de baver devant la gloire de l'idole, et de montrer ce vieux mantra libéral du qui veut peut. Emma reprends-toi et ça ira. Et, du coup, ça va. Sauf que, dans la réalité, ça n'aurait pas été, et ce que Chazelle refuse de voir les frères Coen l'avaient magistralement et humainement montré. Gosling est cette bonne vieille figure bien virile (hm) qui vient rappeler à Emma qu'elle n'a qu'à se secouer les puces. Cela fait, la voilà devenue une starlette.


Bref, c'est donc sur le fond qu'il me semble que La La Land est déjà profondément problématique. A l'évidence, un film à oscars, vu la flagornerie avec laquelle Hollywood est traité. Pari réussi. Pourtant, on ne peut encore que s'étonner devant la prétendue maîtrise de réalisation du film. C'est qu'il accumule tous les clichés cinématographiques de notre époque, vus et revus ces dernières années dans les grosses productions... Waouaw un plan séquence au début! Dingue, dingue, dingue! Hé oui, déjà Birdman en avait fait, reprenant une technique que les frères Dardenne connaissaient depuis longtemps. Ne parlons pas de cette fin alternative présentée... On retrouvait déjà cette technique ridicule dans Mommy de Xavier Dolan, sans plus d'efficacité. C'est que, précisément, montrer une alternative n'est intéressant que si on ne montre qu'elle. C'est à nouveau ce que les frères Coen avaient saisi dans Arizona Junior. Quel intérêt sinon de montrer ce qui aurait pu mais dont on sait qu'il ne peut, si ce n'est pour nous tirer des émotions artificielles? Pour créer un pathos industriel?


Ajoutons à cela un casting inadapté pour une comédie musicale. Il faut bien oser le dire, ni Emma Stone ni Ryan Goslin ne chantent bien. Ils se défendent mais voilà tout, l'une étant incapable d'aller dans les aigus, l'autre d'aller dans les graves. Sans doute le reproche peut-il être plus adressé à la partition, qui ne semble pas tenir compte de la tessiture des acteurs, cependant le mal est plus profond. Chazelle voulait, in fine, deux stars hollywoodiennes du moment. Tout est dans l'apparence et le factice, il est donc naturel de prendre avant tout deux étoiles montantes, peu importe les talents musicaux pourtant nécessaires pour une comédie musicale. Il ne faut toutefois pas être trop exigeant, après tout la bande originale se contente essentiellement de répéter un même thème sous trente-six mille formes différentes possibles. On ressort de la salle la tête pleine comme un sceau d'une même musique sans cesse répétée pendant un peu plus de deux heures, ébloui par la pétarade grossière de couleurs pastel et néon.


Fort naturellement, notre époque a porté au pinacle ce film. Le fond correspond tellement à notre période qu'il ne pouvait que plaire, tandis que la forme criarde et vulgaire donne au spectateur bobo la sensation d'avoir contemplé une oeuvre d'art. L'amour du "Rouge et le Noir" est bien trop romantique pour notre temps, et celui des "Liaisons dangereuses" bien trop cruel. L'amour que véhicule La la land, c'est un amour sacrifié pour des considérations matérielles. La démonstration même de l'inutilité de la passion est faite. Tout doit finalement céder à l'argent et la célébrité et, en premier, l'Art que La la land piétine de ses pas de claquettes d'un classicisme éreintant.

VincentDanau
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le 10 déc. 2017

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Vincent Dn

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