Apprendre la ressortie au cinéma, sous la houlette des champions de Carlotta Films, de trois films de S.S. Rajamouli courant 2025-2026, c’est plus ou moins l’équivalent de Noël avant l’heure. C’est aussi et surtout la possibilité de faire découvrir au plus grand nombre l’univers d’un réalisateur qui, il y a trois ans, avait réussi avec l’ébouriffant RRR l’exploit de mettre le public occidental sur les rotules et de largement dépasser le cercle des quelques aficionados isolés du blockbuster indien. Au point même de créer un engouement subit pour une industrie habituellement désignée avec un certain mépris, désormais considérée comme un sérieux successeur à l’âge d’or des productions hong-kongaises, ainsi qu’une alternative revigorante à un cinéma hollywoodien affichant chaque jour son état de mort cérébrale avancée. L’avant-première au Grand Rex ne trompait pas : alors que les séances indiennes auxquelles j’assiste me donnent habituellement la sensation d’être le petit blanc qui s’est trompé de salle, la composition du public était cette fois bien plus hétérogène. Non décidément, il y a quelque de plus avec Rajamouli.

 

Et ça tient sans doute à ce que les films du réalisateur, en dépit de leur identité culturelle très marquée (et revendiquée haut et fort), atteignent une forme d’universalité comparable à celle des grands conteurs contemporains que sont James Cameron et George Miller. Le cinéma de Rajamouli est profondément mythologique, nourri de l’influence du Mahabharata et du Ramayana (deux poèmes épiques à l’origine de l’hindouisme… que je n’ai pas lus évidemment, merci Wikipédia). Cette accointance avec les récits fondateurs des légendes modernes octroie à ses scénarios des aspects et des thèmes capables de résonner chez tout un chacun : ainsi, on retrouve dans Baahubali tout à la fois le voyage initiatique du héros (véritable marotte des scénaristes mythologues), et la tragédie shakespearienne avec son lot de complots, trahisons, vengeances et sentiments exacerbés (de quoi faire frétiller le fan des Rois maudits, Hamlet et consorts). Le tout saupoudré d'une maîtrise scénaristique redoutable, reposant pourtant sur des ingrédients d'une telle évidence qu'on se demande bien pourquoi de plus en plus de réalisateurs les négligent, à l'instar de cette utilisation judicieuse du setup/payoff qui décuple tout à la fois la portée émotionnelle tout en s'intégrant parfaitement à ce jeu de reflets permanents entre les actes passés et ceux à venir.

 

Mais, bien évidemment, la touche Rajamouli, c’est aussi et surtout cette démesure permanente, couplé à ce grain de folie jubilatoire typiquement indien, capable de transformer la scène la plus banale en pur moment de cinéma homérique. Qu’il s’agisse de filmer l’ascension du héros au sommet d’une cascade digne de l’Everest, une romance musicale sur un bateau-cygne à travers les nuages (séquence qui ferait pâlir n’importe quel Disney), ou des batailles titanesques n’ayant rien à envier à celles d’un Cecil B. DeMille ou d’un Peter Jackson, Rajamouli dégaine tous les outils à sa disposition – photographie magnifique, musique opératique, cadres sublimes, décors et costumes grandioses – pour composer une symphonie visuelle et sonore renouant avec l’émerveillement des grandes fresques épiques.


Émerveillement d’autant plus stimulé par le ludisme euphorisant et la candeur absolue avec lesquels le réalisateur filme chacune de ses idées, y compris les plus ouvertement kitch ou délirantes (le coup des boulets de canon humains, je ne m’en suis toujours pas remis), ramenant le spectateur à l’état de gamin trépignant sur son siège, les yeux écarquillés et la mâchoire pendante, devant les exploits de ces êtres surpuissants. Pas la plus petite once de cynisme ou de second degré ici, Rajamouli croit à tout ce qu'il filme, nous rappelant que le problème avec les marvelleries envahissant nos écrans ne vient pas du genre super-héroïque en lui-même mais de l'arrogance imbécile d'industriels se croyant plus malins que leur sujet et leurs spectateurs, quand ils ne les méprisent pas profondément l'un l'autre.


Moi, personnellement, quand je sors de la séance de Baahubali et que j'apprends que le réalisateur rêve depuis des années d'adapter le Mahabharata à l'écran, une seule pensée me vient en tête : shut up and give him money !

Little-John
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le 30 oct. 2025

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