Le désir a ses lois que la raison ignore

A chacun de ses films, la presse aime à rappeler que Pedro Almodóvar est un amoureux des femmes. Mais cette évidence serait réduire la grandeur du cinéaste espagnol qui s'est toujours engagé à mettre en scène les passions qui animent et excitent l'être humain, le désir assouvi et inassouvi, peu importe le sexe. Une liberté de ton qui s'inscrit dans chacun de ses films et qui paraissait à la limite du subversif dès lors qu'on le contextualisait dans l'Espagne conservatrice des années 80 en train de s'émanciper progressivement du spectre de Franco. Ses premiers films correspondent à la mentalité d'un cinéaste qui revendique des influences provenant de la culture pulp, des feuilletons télévisées, les romans de gare et la culture populaire dans son ensemble. On lui connaît un tempérament loufoque mais son intérêt se penche également pour la scène et le spectacle, sa grande passion qu'il incorpore régulièrement dans ses films. Almodóvar, c'est aussi et surtout les tourments humains liés aux sentiments. Il évoque régulièrement les rapports difficiles entre mère et fille, ainsi que les secrets de famille. C'est bel et cela le cinéma de Pedro Almodóvar, une hybridité de ton et de thèmes. Une hybridité qui parcourra l'ensemble de sa filmographie et qui commence véritablement à partir de La Loi du Désir, sans doute le premier de ses films qui emploient l'ensemble de ses thématiques et affirment le style du cinéaste espagnol le plus influent de son époque.


On ne peut pas dire que La Loi du Désir est une comédie dramatique mais il déborde suffisamment de folie dans la représentation des personnages (une sœur au tempérament bien trempé, un duo de policiers façon buddy movie) qui rendent le film plus divertissant que le mélodrame tumultueux. Car il faut en convenir, sans le style almodovarien, La Loi du Désir est un triangle amoureux banal qui trouve sa force dans l'utilisation de figures encore sous-représentées (l'homosexualité, la transsexualité, le blasphème) et des obsessions du cinéaste. Le désir dans ce qu'il a de plus vaste et de plus machiavélique. La Loi du Désir repose également sur un trio d'acteurs impliqués, Antonio Banderas et Carmen Maura parfaits dans leur complexité alors que paradoxalement Eusebio Poncela, en metteur en scène désabusé par ses amants, est plus discret à incarner ce qui semble être un double de Pedro Almodóvar. On observe avec délice les costumes kitsch, les lumières arty et les décorations d'une époque qui paraissent bien révolues aujourd'hui. La Loi du Désir est bel et bien un film de son temps, à bousculer les conventions et s'inscrire dans une Espagne nouvelle. Points noirs du film, l'enquête policière et sa conclusion brouillonne qui font regretter que le cinéaste se soit perdu dans une intrigue au bord du thriller et du polar qui n'apportent rien au drame de ce triangle amoureux. Au contraire, elles ne font qu'alourdir ce qui, jusque là, était dosé avec subtilité et émotion. Les personnages des deux policiers s'avèrent pleinement dispensable dans le récit et contrebalancent par leur écriture à la limite de la caricature, même si cela confirme l'idée du rejet des institutions autoritaires par le cinéaste.


Malgré ses évidentes qualités, La Loi du Désir est le film sulfureux attendu, éloigné de toute forme d'originalité narrative et finalement oeuvre mineure dans la filmographie de Pedro Almodóvar. C'est d'autant plus dommage qu'à l'époque, c'est sans aucun doute ce film qui a définitivement posé les bases de son style et de son emprise future sur le cinéma espagnol, juste avant la consécration un an plus tard avec Femmes au bord de la Crise de Nerf. Il faut néanmoins lui accorder qu'il a été l'un des plus influents sur la représentation de l'homosexualité au cinéma. Trente ans plus tard, davantage de cinéastes osent enfin filmer l'homosexualité sur le même pied d'égalité que l'hétérosexualité. Dans toute son œuvre, il est certain qu'Almodóvar a permis de libérer la parole sur des sujets que les différentes sociétés occidentales jugeaient tabous, preuve du courage d'un cinéaste qui n'a cessé de mettre en scène des idées et des obsession controversées en même temps qu'il a permis d'asseoir son génie sur le cinéma mondial.

Softon
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le 31 mars 2017

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Kévin List

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