On n'est plus vraiment dans du cinéma, mais dans une sorte de documentaire fictionnalisé. Il faut bien en prendre conscience avant de rentrer dans la salle car l'expérience peut vite se révéler désagréable. En effet, on se retrouve, comme toujours chez Brizé, devant un film minimaliste, mais pour la Loi du Marché, le minimalisme est poussé à l'extrême, sur tous les secteurs du film. Un minimalisme qui habituellement ne me dérange pas, mais seulement lorsque celui ci est maîtrisé. Le problème avec celui ci, c'est que beaucoup trop d'éléments viennent entâcher l'expérience et empêchent le film de marquer.


Les premiers éléments sont d'ordre scénaristique. De manière globale, le scénario ne décolle jamais, ne propose aucun moment de fulgurance ou de segment sortant du lot, de sorte que l'on se demande, à la sortie de la séance, si il était véritablement nécessaire de raconter cette histoire. On a l'impression que Brizé essaie de faire une synthèse du film d'auteur français sans jamais proposer d'élément original ou innatendu. Le père de famille est au chômage depuis 20 mois, il galère à joindre les deux bouts, son fils est handicapé, etc... J'avais l'impression de voir du sous Audiard, la puissance de mise en scène et scénaristique en moins.


D'autres problèmes viennent de la technique également, chose que je déteste critiquer mais qui m'a ici tellement sauté aux yeux que je me sens obligé de le faire.
Tout d'abord, je n'ai rien contre l'utilisation de la caméra épaule, c'est un procédé extrêmement prisé mais synonyme également de faible budget. Le problème, c'est que la caméra tremble beaucoup beaucoup trop. Parfois, la scène est limite illisible, lorsqu'on suit les personnages marcher d'un pas pressant, c'est limite si on entend pas le caméraman courir tant la caméra tremble. Lors des scènes dans l'arrière salle du magasin où les voleurs sont placés afin d'être interrogés, Brizé choisi de minimiser le montage et passe d'un personnage à l'autre à tour de rôle. Sauf que sur les 3/4 de ces scènes, il y a des problèmes de mise au point ou de cadrage (la moitié du visage de Lindon est parfois coupé du cadre). Je pense que ce côté documentaire et amateur est voulu, mais à ce point là, c'est plus un soucis de caméraman qu'un véritable parti pris esthétique.


Enfin, de manière globale, il n'y a quasiment pas de mise en scène. J'entends par là que les dialogues sont presque tous filmés pareil, le montage est très rare mais composé de beaucoup de jump cuts, toujours la même focale, les mêmes échelles de plans à peu de choses près. Bien sûr que tous ces procédés de mise en scène, à savoir la caméra tremblotante, le jump cut, les mouvements de caméra hasardeux, le flou d'image, les cadrages sales etc... participent à la création d'une ambiance d'angoisse, de malaise, pour coller pleinement à l'état d'esprit de Thierry. Seulement je trouve que cela ne suffit pas, que la recherche n'a pas été vraiment poussée du bon côté et que le film ne propose rien de bien neuf.


Les bons points que j'ai relevé sont : Vincent Lindon, la direction d'acteurs en général, Vincent Lindon, le rythme du film qui évite les longueurs inutiles, Vincent Lindon, et Vincent Lindon.


Vincent Lindon porte littéralement le film à bout de bras, il fait prendre à son personnage une ampleur qu'aucun autre acteur n'aurait été capable de faire. Par sa présence à l'écran, son charisme et son naturel, il permet au spectateur de s'attacher à son personnage et de donner au film le potentiel dramatique qui lui manquait.


Sans Lindon, je me demande vraiment si le film aurait été autant remarqué. En tout cas, selon moi, même si le film n'est pas mauvais, il ne méritait pas une sélection en compétition officielle à Cannes. C'est un film qui se laisse voir, qui propose un discours intéressant sur le monde du travail, mais malheureusement n'est pas assez puissant pour marquer les esprits. A force de faire du minimalisme, le film se minimalise tout seul.

Scorcm83
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Films Sortis en 2015 et vus en 2015 et Les Déceptions de 2015

Créée

le 13 juil. 2015

Critique lue 263 fois

2 j'aime

Audric  Milesi

Écrit par

Critique lue 263 fois

2

D'autres avis sur La Loi du marché

La Loi du marché
guyness
2

Le diable s’habille en pravda

Le diable se niche dans les détails. Le film de Stéphane Brizé est une somme de détails, épars et étirés jusqu’à la rupture (de cohérence narrative, mais aussi celle de la patience de votre...

le 31 mai 2015

77 j'aime

52

La Loi du marché
mymp
5

Thierry Wimmer

Recette du parfait mijoté de social (à la française) accompagné de sa sauce aigre. Pour commencer, prenez un fait de société qui a du sens, dans l’air du temps, un truc important sur la société...

Par

le 24 mai 2015

58 j'aime

9

La Loi du marché
Grard-Rocher
7

Critique de La Loi du marché par Gérard Rocher La Fête de l'Art

La famille Tabourdeau vivait "correctement" malgré l'infirmité de leur fils mais un beau jour Thierry le mari perd son emploi. La situation financière se dégrade très vite d'autant plus qu'à...

44 j'aime

25

Du même critique

Black Mirror : Blanc comme neige
Scorcm83
9

Critique de Black Mirror : Blanc comme neige par Audric Milesi

Cet épisode spécial White Christmas est un cas d'école. Il met en exergue l'importance du comédien au sein d'une oeuvre audiovisuelle. J'en fais peut-être trop, mais en cours de visionnage, c'est ce...

le 20 nov. 2016

8 j'aime

1

L'Anatomie du scénario
Scorcm83
8

Critique de L'Anatomie du scénario par Audric Milesi

Autant je reprocherai à ce livre son aspect dogmatique et le côté très "donneur de leçons" de John Truby, autant je ne peux que constater son utilité pour un jeune auteur qui souhaite...

le 28 nov. 2017

7 j'aime

4

The Neon Demon
Scorcm83
7

Mi-Drive, Mi-OGF, un nouveau style ?

The Neon Demon est un film que j'attendais particulièrement, étant fan du travail du réalisateur danois depuis ses débuts et extrêmement intéressé par le scénario, autant dire que mes attentes...

le 21 mai 2016

7 j'aime