Quel plaisir de retrouver un bon Powell & Pressburger! D'autant plus que je ne m'attendais pas à un film aussi joli. Formellement on retrouve la patte Michael Powell, une réalisation léchée. La photographie joue sur les ombres et lumières pour quelques séquences de toute beauté.
On apprécie également cette prédilection pour une belle mise en valeur des décors naturels (judicieuse utilisation de filtres sur les plages). A louer encore, l'audace narrative des effets spéciaux que l'on doit sûrement à Hein Heckroth. Je pense ici à cette fameuse scène surréaliste de la pénible attente du héros alcoolique, tenté par une bouteille de whisky de plus en plus grande. Cela rappelle le travail de Dali sur le cauchemar de Spellbound d'Hitchcock.


Et puis l'on savoure la patte de l'ami Pressburger, ces dialogues vifs, la percussion des échanges, avec la juste dose d'humour caustique qui perce en perfide allusion ou bien en coup de glaive féroce.


De cette association fabuleuse sont nés des chefs d'oeuvre tel que le Colonel Blimp, Je sais où je vais ou Black Narcissus ou autres Canterbury Tales. Ici, si j'ai pris énormément de plaisir à voir le cheminement constructif du film, sa belle mécanique structurelle et la manière de mettre cette histoire en image, je ne suis pas complètement parvenu à intégrer parfaitement les enjeux du film, malheureusement. Non que l'évolution de ce couple ne m'ait pas ému, non qu'ils soient hautement sympathiques, mais il s'agit plutôt du fait que la portée de leur histoire n'a pas provoqué en moi un écho persistant au delà du visionnage. Dans les films cités plus haut, j'étais souvent perdu dans mes pensées et émotions, les personnages m'accompagnant bien après les avoir découverts.


Ce n'est pas faute d'avoir été comblé par les comédiens. J'ai une nouvelle fois été enchanté par la prestation de David Farrar. Je l'ai trouvé extrêmement fin dans son jeu d'alcoolo, de malade, donnant avec un équilibre parfait autant de vulnérabilité que de courage à son personnage. Il hérite il est vrai d'un rôle complexe qui demande un investissement important où la subtilité du comédien est exigée, nécessaire pour lui donner un tant soit peu de vraisemblance.


Kathleen Byron propose un personnage beaucoup moins outré que celui de sister Ruth dans le Narcisse noir. Au contraire, elle affiche ici une personnalité longtemps en retrait, lui donnant au début une aura mystérieuse, troublante qui ne réussit pas à la rendre belle (vraiment pas mon style de femme, on s'en fout, oui, on s'en fout). Par la suite, elle demeure peu communicative, dans une posture d'attente auprès de son homme, en attente d'une révolte ou d'une déclaration (bien plus par ses actes que par ses mots d'ailleurs), mais cela ne vient pas, ce qui lui donne l'occasion d'une belle scène d'esclandre, rage qui ne m'a pas totalement convaincu. A sa décharge sans doute que la présence de Farrar en impose tellement que sa petite voix parait un peu fluette. Peut-être.


Il est toujours bon de retrouver cette forme de démonstration d'humanisme fervent, propre à Powell avec l'inclusion dans sa mise en image de plans de visages, de tronches. Je pense d'abord à ces soldats sur la plage, spectateurs comme nous du désamorçage de la bombe. Mais l'on peut penser à toute la galerie de personnages secondaires qui parsèment le récit et qui le parent d'un réalisme bon enfant, sur un ton égal, bienveillant. Là effectivement je songe au barman Sid James. Je pense au ministre joué par un Robert Morley dont la tête vous revient c'est obligé, on l'a vu un peu partout ce gaillard. A ces jeunes collègues en butte à quelques désordres domestiques, aux remontrances du patron dont le regard enguirlandeur sait faire place très vite à un sourire enjoleur. Comment oublier le visage compatissant de la superbe Renée Asherson lisant en pleurs le rapport de Cyril Cusak. Et l'on pourrait continuer ainsi avec l'officier blond dont j'ai oublié le nom sur le quai de la gare ému d'avoir rencontré Farrar. Encore et encore, ces mots, ces regards et ces personnages aux visages profondément humains dans lesquels brillent les mêmes lueurs que celles de leurs auteurs.
Chez ces soldats ou laborantins londoniens, on reconnait les villageois de Je sais où je vais, ou les habitants du Canterbury Tale, une chaleur, une joie de vivre ensemble malgré la guerre, une caractéristique britannique peut-être, une spécificité du couple Powell & Pressburger certainement


http://alligatographe.blogspot.com/2009/04/small-back-room.html.

Alligator
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le 23 févr. 2013

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