Sublime et crépusculaire. Chaque plan, chaque est un tableau dont je vais avoir du mal à me remettre. Formellement, le film est sans doute un des plus beaux que j'ai pu voir mais j'y reviendrais.
C'est un huis-clos dans la chambre royale. Albert Serra fait de l'agonie de Louis XIV une agonie banale comme on a pu tous en connaitre une dans notre famille. C'est extrêmement touchant et émouvant de voir ce grand personnage réduit à la vieillesse et le voir se mourir à petit feu, entouré de sa Cour et de médecins tous plus incapables les uns que les autres. Pourtant, eux aussi sont touchants parce qu'ils expriment l'impuissance et une grande humanité. Serra arrive avec de façon incroyable à capter l'humanité dans le jeu de chacun de ses acteurs. Chose étrange mais, je pourrais presque dire qu'ils ne jouent pas. C'est un jeu très minimal, dans un film qui a un rythme très lent. L'agonie est longue et les souffrances deviennent de plus en plus insupportables. Chaque scène est une occasion de nous rappeler la banalité de la souffrance et de la mort.
Je trouve fascinant qu'Albert Serra arrive à faire de Louis XIV un vieux comme un autre, qui au-delà de l'aspect particulier du personnage, agonise un peu comme un monsieur tout le monde. Il a des comportements de vieux réels. Il a des lubies de vieux, quand il exige de l'eau mais uniquement dans un verre en cristal et qu'il parle mal à son valet. Quand il fait un salut avec son chapeau, je vois vraiment en lui, le petit vieux qui cherche à épater son monde. Mais surtout, j'ai vu en lui les grands parents, j'ai vu mon grand-père comateux entrain de mourir... Ça a réveillé des choses en moi. Pour cela, merci Albert Serra. Ce film, c'est la dialectique du particulier et de l'universel. On se projette un peu trop bien et le film n'en est que plus douloureux et difficile à regarder. De même qu'après la mort du roi, tout le monde se met à pleurer. On a vraiment l'impression d'être en famille, c'est perturbant.
Certaines scènes vont me hanter. Déjà, le plan d'ouverture : ce jardin dans la brume, avec ces couleurs, ces fleurs, ces oiseaux... C'est formellement incroyable. J'ai presque jamais vu un plan aussi touchant (sauf chez Bruno Dumont). C'est tout con mais si rare. Chez moi, ça a généré une émotion esthétique intense.
Ensuite, la scène où Louis XIV entend une musique qui semble venir des profondeurs et se redresse soudainement, se met à sourire en songeant aux bruits des canons et des sabres... C'est pur. D'un seul coup, on se retrouve projeté en lui, dans ses souvenirs et on voit, l'espace d'un court instant, renaître le Roi Soleil. Et ce plan sur la campagne avec le bruit de la bataille... La seule fois, en dehors du jardin, où l'on quitte la chambre du roi. C'est magnifique. J'ai versé une larme.
Puis, ce long plan fixe, deuxième séquence musicale du film, où Louis XIV nous fixe, nous spectateurs, au travers d'un regard caméra perçant. Vraiment, j'aurais tant aimé découvrir ça sur grand écran, déjà que sur mon PC c'était perturbant, déstabilisant. Il semble nous faire des adieux ou nous jeter un regard accusateur... Comme si nous étions les courtisans qui prennent son agonie pour un spectacle.
La scène avec les médecins et le charlatan est drôle. De même que tout le passage où le valet fait part de ses réticences à ce que le roi ait un oiseau... C'est con et hilarant quelque part. Ce qui donne une ambiance étrange au film. Parce que c'est sans doute un des plus grands drames que j'ai vu mais Serra n'oublie pas le burlesque. Les mecs sont enfarinés, poudrés et ont une discussion absolument absurde avec notre regard contemporain... C'est drôle et tragique parce que c'est ça qui tue le roi. Mais ça ne m'a pas empêché de rire et en même de pleurer.
Enfin, la mort tout en silence, sans musique, avec simplement ce plan sur le visage que toute vie a quitté. Et l'autopsie où le médecin conclut en disant "la prochaine nous ferons mieux". L'idée de finir sur les boyaux de Sa Majesté pour nous montrer qu'il n'est qu'un corps et en quelque sorte, achever de le désacraliser, de le rendre humain après en avoir fait le roi... C'est génial ! Mais c'est d'autant plus tragique que les médecins et la cour se comportent comme si le roi n'était pas mort et font encore son éloge au travers du diamètre de ses boyaux. Même ouvert, ils cherchent à en faire un être exceptionnel alors qu'on vient de passer deux heures à le voir se mourir comme un simple vieillard.
Comment ça va être la mort ? C'est la question que ça soulève en moi. C'est terrifiant à imaginer la souffrance et l'agonie. Et pour l'heure, je ne veux pas de réponse. Ce qui est magnifique avec ce film c'est qu'on peut jamais le prendre autrement que par l'émotion brute.