Après les succès de Flow et La Plus Précieuse des marchandises lors de la précédente édition, les films d’animation acquièrent une légitimité croissante dans les sélections cannoises. Et, aussi modeste soit-il, La mort n’existe pas parvient à tenir ses promesses : un voyage fantastique et sensoriel qui interroge la notion de seconde chance à travers l’imaginaire abstrait et angoissant d’une écoterroriste.
Dès les premières minutes, le dessin de Félix Dufour-Laperrière nous saisit. Cinq jeunes individus se réunissent au clair de lune pour planifier un assaut armé sur une propriété étroitement surveillée. Leurs visages, tendus mais déterminés, se dévoilent avec parcimonie. La nuit enveloppe les corps et confond les silhouettes avec le décor forestier, à la manière des loups se dissimulant pour mieux chasser. Cette analogie n’est pas fortuite : tout, dans leur posture et leur coordination, renforce l’idée d’une meute solidaire. Rien ne dépasse. Leurs inquiétudes et leurs volontés se fondent dans un objectif commun : assassiner une femme influente, perçue comme responsable des bouleversements majeurs qui empoisonnent la planète. Ils espèrent ainsi, par cet acte radical, reprendre le contrôle de leur destin et « endiguer le mal » à sa racine. Mais face à une détresse insoutenable, sont-ils réellement prêts à aller jusqu’au bout ? Sont-ils prêts non seulement à ôter des vies, mais aussi à sacrifier la leur pour une cause incertaine ?
La fusillade est inévitable. Les corps tombent des deux côtés, comme fauchés par une main invisible. Cette séquence, bien que conçue en deux dimensions, impressionne par sa profondeur et sa dynamique. La mise en scène nous emporte d’une image choc à l’autre avec une fluidité saisissante. Le mouvement est précis, les tirs – tout comme leurs impacts dans la chair – d’une brutalité froide. Mais cette débauche de violence ne relève pas du spectacle gratuit : elle interroge la notion d’engagement, qu’il soit politique ou amical. C’est au cœur de ce chaos que survient un moment suspendu : Hélène s’immobilise, se détache du groupe, et rebrousse chemin dans la forêt.
Dans sa fuite, elle est rattrapée par le fantôme de Manon, une amie et complice de l’attaque. Commence alors un voyage halluciné, mais d’une lucidité troublante, où les problématiques existentielles de la jeunesse prennent corps à l’écran. L’impossibilité de maintenir le statu quo ou de préserver une planète habitable sont des enjeux bien réels, mais le récit ne se perd jamais dans le didactisme. Il ouvre plutôt un débat intime et intergénérationnel. Le réalisateur, en affirmant avoir conçu ce film en pensant à ses enfants, ne rend pas un simple hommage : il livre un testament. Un cri inquiet, chargé d’idées fortes, traduisant un monde en mutation, violent, et que rien ne semble pouvoir enrayer.
Le cinéaste québécois multiplie volontairement les éléments fantastiques et poétiques, les mélange autour d’Hélène, et fait de la forêt le théâtre d’un bouleversement intérieur profond. L’utilisation ponctuelle d’aplats de couleur reflète l’ambiguïté du sujet, mais aussi les doutes de la protagoniste. De même, le traitement visuel de la chair et des mouvements animaux agit comme un miroir des incertitudes d’Hélène. Grâce aux jeux de couleurs, l’animation rend palpable l’absence de ses compagnons et l’intensité de son combat intérieur. Elle ne cesse de revivre ce moment-clé – toujours la fusillade – animée au ralenti, déjà imprégnée des codes du cauchemar ou du purgatoire, qui la hante à travers les bois.
Renoncer à l’amitié, à l’amour, à la loyauté… Cela fait-il d’Hélène une martyre déchue ? Peut-elle se repentir de son inaction, ou doit-elle justifier la violence comme ultime recours pour survivre ? Telles sont les interrogations au cœur de La mort n’existe pas, une œuvre spectaculaire d’animation 2D, présentée à la Quinzaine des cinéastes 2025. Le film sera également à l’affiche de la sélection officielle du festival d’Annecy, le mois prochain.
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