Black Girl, le premier long métrage de l’auteur sénégalais Ousmane Sembène est non seulement le précurseur de toute la scène cinématographique africaine mais aussi l’effigie d’un cinéma engagé et social.

Grâce à une structure oscillant habillement entre présent et souvenirs, le cinéaste nous offre un regard approfondi sur la dernière période de la vie d’une jeune fille sénégalaise. Ayant grandi dans un Dakar pauvre avec peu d’opportunités, Diouana oscille entre l’attente d’un emploi de femme de ménage et les promenades insouciantes avec son petit ami ; le tout jusqu’à ce qu’un couple de Français l’engage et l’emmène avec eux à Antibes. À partir de ce moment, commence la deuxième partie de l’œuvre, à savoir le calvaire de la jeune femme. Forcée de vivre entre les murs du modeste appartement de ses maîtres, Diouana se retrouve opprimée, asservie, forcée d’agir comme une servante, sans égard ni compréhension.

Outre sa valeur cinématographique historique, Black Girl impressionne par ses qualités. Parce que Sembène fait un excellent travail en montrant la vie du point de vue de Diouana, le film nous permet, à nous Européens, de voir le monde sous un angle différent : les contrastes entre les continents sont ici clairement évidents et pèsent lourdement sur la jeune femme. Les images mornes et l’absence de musique de film soulignent sans autre commentaire que Diouana a échangé sa liberté contre la vie en prison.

Grâce à la voix off, nous, spectateurs, avons accès à ces pensées, qui deviennent de plus en plus déçues et pessimistes. La première aliénation donne lieu à une déshumanisation dont les répercussions nous sont explicitement transmises par le style narratif direct.

L’approche narrative est l’un des grands mérites de Black Girl, car Ousmane Sembène ne poursuit aucune question de culpabilité. Il renonce au pathos et à la mise en scène moralisatrice, s’appuyant plutôt sur une mise en scène sobre et des acteurs amateurs d’apparence naturelle. Le résultat est une clarté limpide qui facilite l’accès aux thèmes difficiles du film.

Après que le cinéma français ait observé les colonies "comme des insectes" pendant des décennies, le réalisateur a réussi à tendre un miroir aux anciens maîtres avec Black Girl. Ce drame tragique remet en question l’image que l’Europe se fait d’elle-même et constitue l’une des œuvres essentielles du cinéma humaniste.

Procol-Harum
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le 10 avr. 2024

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