Il nous avait titillé avec son Cinq Soirées, tourné presque à l'improviste pour ne pas gâcher les crédits de Quelques jours de la vie d'Oblomov alors interrompu dans l'attente de l'hiver, mais en cette année 1981 Nikita Mikhalkov l'a enfin fait : exit les costumes et les calèches, place à l'URSS contemporaine ! J'ai beau avoir eu un énorme coup de cœur pour Oblomov, il y a de quoi se féliciter de ce changement car en ce début de décennie, le conservatisme brejnévien bat de l'aile, en même temps que la santé de son leader acariâtre. Le culte de Staline et de la Grande Guerre Patriotique ne fait plus vraiment recette auprès de la jeunesse qui commence à découvrir la pop-culture par l'entremise de Viktor Tsoï et ses amis rockeurs, avant que ne s'amorce sa propre contre-culture. Le spectre de la guerre, craint par Tamara dans Cinq Soirées, a hélas entre-temps pointé le bout de son nez, et avec chaque cercueil revenant d'Afghanistan, c'est un nouveau morceau du rêve socialiste que l'on enterre.


Tout cela se retrouve dans La Parentèle, dans une certaine mesure : des gamins à peine sortis de l'adolescence à qui l'on rase le crâne avant de les envoyer faire leur service militaire, une petite fille de famille monoparentale qui passe son temps devant la télé, des bikers avec des casques aux couleurs du drapeau confédéré, un tablier de cuisine à celles du Star Spangled Banner... tempus fugit, assurément.


Mais comme toujours, malgré son souci du détail dans la reconstitution Mikhalkov n'est pas là pour faire un documentaire. Le cadre est vivant mais ne prend pas le pas sur le cheminement de ses personnages, en l’occurrence Maria Vassilievna, brave paysanne cinquantenaire venue rendre visite à sa fille Nina à Moscou... pour découvrir que cette dernière est en instance de divorce avec son mari Stassik. Comme si le choc n'était pas assez brutal, c'est à peine si elle reconnait sa petite-fille Ira, constamment avec ses écouteurs sur les oreilles. Elle a beau essayer de renouer avec son ex-mari Vovtchik, celui-ci est devenu un alcoolique solitaire et dépressif, délaissé par son fils d'un second mariage qui s'apprête à partir en Afghanistan. Seul point positif : Maria a rencontré dans le train un certain Iouri Nikolaïevitch, ingénieur en chef d'une usine de poissons, qui lui fait maladroitement la court.


En résumant ainsi le film, je me rends compte qu'il parait plus triste et déprimant qu'il ne l'est vraiment. C'est d'ailleurs un de ses problèmes à mon sens, on ne sait jamais si on a affaire à une comédie ou à un drame familial. Cette alternance a beau être une constante chez Mikhalkov, la mayonnaise ne prend pas aussi bien que dans certains autres films, comme Oblomov, où les moments drôles étaient vraiment drôles et les scènes tristes vraiment tristes. Paradoxalement, l'écriture est moins à blâmer pour cette sorte de demi-mesure que la mise en scène, je trouve. Mikhalkov se fait beaucoup plus plaisir que dans les datchas du passé, c'est évident, mais ses plans aériens du stade, de l'immeuble ou encore du fleuve diluent la tension et l'implication émotionnelle alors qu'ils sont censés accentuer la solitude et l'insignifiance de ces malheureux personnages perdus dans l'univers citadin.


C'est dommage, car dès qu'il se concentre sur un cadrage plus intimiste, et pour peu qu'il limite les éclats de voix, Nikita Sergueïevitch arrive à créer une véritable ambiance, où la mélancolie se mêle à l'espoir des jours meilleurs. Certains plans sont vraiment sublimes, comme par exemple celui de Vovtchik parlant aux chiens depuis sa balançoire, ou cette caméra en POV qui recule dans la foule venant envahir la gare à la fin. Le plan final rappelle quant à lui celui d'Esclave de l'Amour, mais en plus abouti.


Le point fort de La Parentèle reste cependant son casting. Dans le rôle du poisson hors de l'eau qu'est la brave Maria, Nonna Mordioukova vient rejoindre Elena Soloveï et Lioudmila Gourtchenko au panthéon des actrices mikhalkoviennes, s'emparant même à mon sens de la première place, ce qui va de soi pour LA grande dame du cinéma soviétique. Mordioukova mêle avec une sensibilité incroyable les manières simples de la paysanne et la douleur de la femme blessée, pour un résultat bouleversant. Tous ses partenaires à l'écran sont parfaits eux aussi - mention spéciale à Iouri Bogatyriov, dont le rôle de gendre volage est l'avant-dernier pour Mikhalkov, une overdose l'ayant emporté en 1989. Je n'ai pas eu l'occasion de lui rendre hommage à sa juste valeur lors de mes critiques de Le Nôtre parmi les autres et d'Oblomov, mais c'était un acteur extraordinaire, très fin et expressif.


À noter, tel un passage de témoin, l'apparition d'un jeune premier appelé (jeu de mot volontaire) à devenir la nouvelle muse du réalisateur, j'ai nommé Oleg Menshikov dans le rôle du conscrit Kirill. Oh, et comme dans Esclave de l'Amour, Mikhalkov a un caméo comme serveur... qui ne s'avère pas être un agent du KGB ou un héros de guerre ! Après son absence devant sa propre caméra sur ses deux précédents films, grâce soit rendue à son inhabituelle restriction.


Au final, il est dommage que son joli casting, porté à bout de bras par l'immense Nonna Mordioukova, se retrouve parfois desservi par une réalisation volontiers auto-indulgente et léthargique, elle-même guère aidée par une bande-son électro-synthwave qui a fort mal vieilli, disons-le - du Artemiev pur jus malheureusement, mais sans la finesse qu'il montrait sur Oblomov, ce qui ne lui permet pas de donner à l'épaisseur aux images citadines, comme le jazz peut le faire chez Woody Allen, le rock chez Scorsese ou le downtempo d'Air dans Lost in Translation de Sofia Coppola. Reste une histoire touchante et une galerie de portraits qui font toutefois de La Parentèle un visionnage plus qu'agréable.

Szalinowski
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le 9 févr. 2019

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