Y a-t-il quelque chose à dire, sur la Passion ? Y a-t-il quelque chose à commenter, sur le Christ ? Tout ce qui a dû être Écrit a été Écrit ; tout ce qui n'est pas écrit appartient à ceux qui croient. Le réalisateur de ce film croit. Et il ne dit rien, il ne commente rien : il montre.

C'est la plus grande illustration de la foi que de montrer l'homme, dans ce qu'il avait de vivant, de réel, de passionné. Le film alterne sa Passion et des scènes de son passé, de son enfance, aux côtés de sa mère magnifiquement interprétée. On voit un homme, qui a construit une table, qui embrasse Marie, qui rit, qui, enfant, tombe par terre et est recueilli par la même mère qui le rassure et le console. On le voit, jeune, beau, pur, partager ses préceptes et ses paroles d'amour à ses douze apôtre et aux foules qui le suivent. On le voit être un prophète de quelque chose d'aussi simple que l'amour, qui n'a pas à être écrit.

Et puis on le voit arrêté, livré, frappé, fouetté à s'en arracher la peau, à faire gicler son sang sur les pavés de Jérusalem, à mettre à vif ses côtes sous les yeux de sa mère, à porter sa croix, la gueule en sang, luttant jusqu'à ses dernières forces, se faire clouer la main, ne pas crier, résister toujours, croire. La Passion du Christ montre. Réel autant qu'un film de Kechiche ou de Cronenberg ; sanguinolent, parce que tout homme est fait de sang et tout homme perd du sang quand il se fait fouetter pendant des minutes ; cruel dans le rire et le mépris des soldats ; affirmé dans les choix de mise en scène et la direction des acteurs. S'il montre tout de l'homme qui a peut-être le plus souffert au monde, Mel Gibson signe ici une mise en scène de la plus grande pièce de théâtre jamais écrite, la Bible. Pas de question de point de vue ou d'antisémitisme qu'on a pu lire n'importe où (la Bible est suffisamment antisémite en elle-même, ce n'est pas Mel Gibson qui a décidé de libérer Barrabas et qui a vendu Jésus devant Hérode, si je ne m'abuse). La beauté de la musique sacrée, le temps allongé, l'expression du visage de la mère et les pleurs des deux Marie sur leurs joues pâles font du film un film d'amour. Film d'amour de l'humanité, qui montre jusqu'où le Dieu des juifs a pu donner le corps de celui qui était son fils, combien de sang il a pu laisser sur la terre d'Israël, pour attendre d'accomplir son dernier miracle en le laissant mourir puis en lui rendant la vie. Film d'amour des femmes, sensibles, lentes, élégantes, mères ; le rôle de Marie incarnée par Maia Morgensten est à mon avis le plus beau rôle de mère du cinéma, dans un film qui, pour son avant-dernière image, signe une magnifique pietà. Film d'amour entre une mère et son fils bien sûr, qui passe par un stabat mater, un ave Maria, une pietà finale. Film d'amour de l'Écriture : Mel Gibson met en scène les plus beaux mythes, leur donne un corps, une vie, et les sublime par les moyens assez classiques du cinéma.

Un reproche, bien sûr, cette petite manie encore un peu auteuriste de faire surgir cette personnification du Diable à plusieurs moments, truc qui ressemble surtout à un croisement entre Gollum et Imhotep et à une volonté formaliste et facile sur laquelle se masturberait volontiers Lars von Trier (" Eh coucou regardez je suis une présence satanique malsaine je vous mets mal à l'aise et j'espère que vous avez compris ma volonté "). Bon. On fait tous des conneries. Du reste, le film utilise la cruauté et le réel des récits de la Passion pour nous offrir du spectacle, des images terrifiantes, dont le sang se répand tellement nos yeux qu'on finit par se dire que ce n'est pas assez. Il y a, finalement, beaucoup de suggestion, et on laisse couler le sang, comme le Christ pour qui, à la longue, cela n'avait plus d'importance. Animé par la foi et par l'espérance que son Père se manifestera, le Christ avance, poursuit ses rêves et ses étoiles.

Film de rêves, meilleur film christique bien sûr, loin de tout christiannisme d'église dégoulinant de bons sentiments et de catéchisme prêt à se clouer tel une couronne d'épines sur nos petites têtes blondes, grand moment de théâtre, la Passion du Christ met en image l'essentiel du récit biblique et des personnages, références les plus utilisées du monde, base de toutes les intertextualités et de toutes les écritures. Dans la langue de l'Écriture, évidemment.

Ce film est terrifiant. Ce film, je crois, donne envie de Croire.
Ashen
8
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le 4 mai 2014

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Ashen

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