À vomir
Il serait temps d'arrêter de réaliser des films sur des sujets quand ces mêmes sujets ne vous concernent pas.En tant que lesbienne (et en tant qu'humaine) je suis révoltée par ce film qui n'est qu'un...
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le 29 mai 2025
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Le film allumait pour moi tous les signaux d'alerte du film potentiellement problématique.
A commencer par son sujet, celui d'une jeune fille qui découvre son homosexualité et qui est issue d'une famille maghrébine musulmane venant d'un quartier populaire. Je craignais que le film pose à la fois sur le sujet de l'homosexualité un regard misérabiliste avec le passage attendu en pareil cas de l'agression homophobe, mais qui ne dirait pas la réalité de l'homophobie ordinaire, qu'il faut dénoncer et combattre, notamment je crois lorsque l'on n'est pas soi même concerné, mais dirait plutôt une vision réductrice, caricaturale et fantasmée des mœurs qui habitent les résidants de ces banlieues.
Je craignais aussi le point de vue entomologiste sur les pratiquants de la foi islamique et leur rapport à ces questions, mais en cela peut-être ai-je été influencé par mes souvenirs de la réception critique qui avait accompagnée la sortie du livre éponyme signé Fatima Daas qu'adapte Hafsia Herzi, qui dans une grande maladresse et je crois une sincère envie de bien faire, tombait dans une espèce de condescendance embarrassante, qui finissait hélas par marquer contre son camp. Critique qui en gros voulait adopter un discours bienveillant vis à vis de la communauté musulmane à propos de ces questions d'orientations sexuelles, mais qui tombait au final dans un racisme systémique non pas idéologique mais témoignant d'une grande ignorance de la réalité.
Il y avait aussi à titre personnel l'ombre d'Abdellatif Kechiche, école de cinéma dont est issue la jeune réalisatrice et dont je craignais la pesante influence, particulièrement sur la façon de filmer les corps, ceux des femmes en particulier, Kechiche n'hésitant pas faire de sa caméra un instrument de domination, de voyeurisme, d'en faire un prolongement phallique obscène et dégradant. Herzi s'émancipe de cela avec j'ai trouvé beaucoup de panache, ne se refusant pas à une certaine crudité ni à une forme d'érotisation, mais en sachant toujours à quel plan, quel insert s'arrêter pour ne pas justement tomber dans la lubricité.
Je sais donc gré au film d'avoir su éviter ces pièges, car oui je ne vais pas faire mystère plus longtemps, j'ai vraiment beaucoup aimé ce film. Je découvre notamment une réalisatrice faisant montre d'une évidente compréhension à la fois théorique et pratique de la grammaire de mise en scène. Une cinéaste qui crée de la narration et de la pensée par l'image - le fameux "Show Don't tell" - chaque plan, chaque placement de caméra, les mouvements qui vont selon les scènes pénétrer une intimité ou au contraire nous faire prendre le recul nécessaire pour travailler sa propre réflexion vis à vis des thèmes dont s'empare le film. J'ai été très sensible à cette réalisation d'un équilibre évident, qui dans le corpus de l'œuvre va laisser s'épanouir les autres éléments narratifs tels les dialogues et qui en dehors m'ont grandement donné envie de découvrir les précédents films de Hafsia Herzi.
Concernant les dialogues, ils ne sont jamais explicatifs, rappelant justement les forces de la mise en scène évoqués plus haut, ils sont des clefs qui font avancer le personnage de Fatima. Trois exemples qui illustrent selon moi cela : un dialogue entre la jeune héroïne et une femme rencontrée sur une appli de rencontres dans une voiture qui va illustrer la question de la découverte de sa sexualité, transformant un échange initiatique en une tension sexuelle intellectualisée par le verbe, d'une grande finesse.
Un autre échange visant à parler des doutes universels qui habitent chacun sur ses orientations sexuelles quand l'âge des hormones se manifeste, sera traité dans un face à face entre Fatima et l'imam de sa mosquée dont on perçoit le tiraillement qui habite la jeune lesbienne à ce moment de son parcours avec son désir d'émancipation, d'affirmation et les attendus de sa foi. On n'essaie pas de nous vendre l'idée selon laquelle l'imam devrait sortir de son rôle religieux - petit aparté je n'ai par exemple jamais compris qu'on puisse demander au Pape de tenir un discours autre que celui exigé par les écritures saintes sur ces questions, ce n'est pas son rôle, il est là pour délivrer le message sacré c'est à nous ensuite en pleine conscience de les appliquer ou pas - tout comme ici il appartient à Fatima de suivre ou pas les préceptes musulmans. Elle choisira de conjuguer les deux, continuant à pratiquer sa religion tout en vivant sa sexualité. Renvoyant là à leur bêtise les discours mettant en opposition systémique les pratiquants musulmans et les idées progressistes.
Comme troisième exemple de dialogue m'étant apparu comme construisant le parcours de Fatima sera celui qui conclut le film, un échange mère fille, dont je ne vais évidemment rien vous dévoiler de la teneur, mais qui dans la compréhension et la réception qui en sont les miennes, résout toute la question de l'acceptation par son milieu, à commencer par son milieu familial.
Le film regorge ainsi de nombreux échanges avec divers protagonistes qui vont éclairer toute la problématique à la fois de tolérance de la société, de construction et d'affirmation de Fatima ou bien encore de sa progression sociale à travers notamment son choix d'embrasser des études de philosophie, matière phare de l'art de questionner le monde qui nous entoure. De dialogues qui vont accompagner l'acceptation, l'initiation et in fine l'épanouissement de cette jeune fille qui ne découvre pas tant ses préférences mais qui davantage en prend conscience dans un contexte apaisé, bienveillant et jamais condescendant ou opprimant. Les premières fois, la rencontre de figures tutélaires, réaliser qu'elle n'est pas problématique et qu'elle a droit aux mêmes espoirs et rêves que n'importe qui.
Ces paroles ne visent pas à faire du film un cour magistral ou un précis encyclopédique, ils sont comme l'est tout le film, d'une plaisante subtilité, considérant le spectateur comme déjà informé de ces sujets, n'ayant donc pas besoin de s'appesantir plus qu'il ne faut sur les obstacles que pourra rencontrer Fatima et se permettant ainsi de les traiter avec toute la lucidité permise.
Fatima est incarnée par Nadia Melliti qui est incroyablement juste et d'une force épatante, justifiant largement son prix d'interprétation féminin à Cannes, un premier rôle qui lui va comme un gant, tout en soulignant les qualités de direction d'actrices de la cinéaste dans un équilibre stupéfiant qui ressort dans tous les aspects du film. Juste ce qu'il faut de militantisme, ce qu'il faut de conscience sociale, juste ce qu'il faut de provocation, juste ce qu'il faut de grandes théories, juste ce qu'il faut d'humanité.
UN ! DEUX ! TROIS ! VIVENT LES LESBIENNES !
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le 26 oct. 2025
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Il serait temps d'arrêter de réaliser des films sur des sujets quand ces mêmes sujets ne vous concernent pas.En tant que lesbienne (et en tant qu'humaine) je suis révoltée par ce film qui n'est qu'un...
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le 29 mai 2025
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[N’ayant pas lu le roman autobiographique de Fatima Daas dont ce film est adapté, j’ignore totalement si le livre possède les mêmes qualités et défauts. En conséquence, je ne vais pas l’évoquer dans...
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