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La Petite Dernière : foi, désir et déséquilibres

Il y a, dans le cinéma d’Hafsia Herzi, une volonté sincère de capter la complexité du réel; ses contradictions, ses douceurs, ses crispations. La Petite Dernière, son nouveau long métrage, s’inscrit dans cette lignée : chronique intime d’une jeune fille musulmane découvrant son homosexualité, le film se veut à la fois récit d’émancipation et méditation sur la coexistence entre foi, désir et liberté. Mais si l’intention est belle, l’exécution peine à suivre.


Fatima (Nadia Melliti), lycéenne de banlieue, mène une vie paisible, rythmée par le lycée, la prière, les repas de famille et les discussions avec ses sœurs. Rien ne vient troubler cet équilibre jusqu’à ce qu’un sentiment nouveau s’impose; un trouble diffus, sans visage ni nom. Ce n’est pas un amour incarné, mais une conscience naissante de son propre désir, encore inintelligible, presque abstrait. Herzi filme cette hésitation avec une vraie délicatesse : les silences, les gestes retenus, les regards qui s’attardent disent plus que les mots.


La mise en scène, épurée, presque documentaire : caméra à l’épaule, lumière douce, gros plans sur les visages, crée une proximité sincère avec son héroïne. Par moments, la caméra semble respirer au même rythme qu’elle. Mais cette recherche de vérité finit aussi par tourner au procédé. Le tremblé des plans, les silences prolongés, le refus de toute distance critique deviennent une forme de maniérisme : ce réalisme-là paraît parfois trop conscient de lui-même. Le montage, inégal, accentue cette impression d’hésitation : certaines scènes s’étirent jusqu’à la lassitude, d’autres se concluent trop brusquement, comme si la cinéaste craignait à la fois la lenteur et la coupe franche.


Le scénario, lui aussi, vacille entre justesse et maladresse. Herzi a l’intelligence de ne pas faire de la famille de Fatima un espace d’oppression : les siens sont aimants, présents, un peu intrusifs mais jamais malveillants. Ce choix, à rebours des représentations attendues, offrait la possibilité d’un conflit intérieur fort. Malheureusement, cette complexité s’effrite. Le parcours de Fatima, d’abord pudique, se mue soudain en affirmation sexuelle presque caricaturale, comme si la cinéaste, à court d’inspiration, confondait libération et exhibition.


Les séquences où Fatima découvre le milieu lesbien sont parmi les plus problématiques. On y sent la volonté de montrer une pluralité de corps et de désirs, mais le film glisse vers une forme d’hypersexualisation. Toutes les femmes qu’elle rencontre semblent filmées à travers un prisme de voracité : des corps sûrs d’eux, brillants, presque prédateurs, face à une adolescente encore hésitante. Cette représentation, involontairement stéréotypée, enferme le désir féminin dans une grammaire visuelle qui n’appartient pas à Herzi: celle du regard masculin qu’elle prétend pourtant dépasser. Là où on espérait une sensualité libre, on retrouve le même imaginaire du danger et de la tentation.


Les dialogues, souvent trop écrits ou explicatifs, manquent de naturel. Les personnages secondaires, esquissés puis oubliés, privent le récit de respiration sociale. On regrette notamment la disparition des camarades de lycée ou des sœurs, qui auraient pu incarner les échos de ce trouble au sein du collectif. Tout ce pan du film: l’espace communautaire, la construction du regard des autres, s’évapore, laissant la protagoniste seule dans une abstraction émotionnelle.


Et pourtant, par instants, La Petite Dernière retrouve sa justesse. Dans la scène où Fatima consulte un imam en prétendant parler pour une amie, Herzi saisit un moment d’une rare ambiguïté : le religieux, d’abord dogmatique, laisse affleurer une bienveillance contenue ; la jeune fille, incapable de maintenir le mensonge, s’abandonne aux larmes. De même, dans le dernier face-à-face entre Fatima et sa mère, tout se joue dans l’implicite. L’amour maternel, ici, est un souffle discret, une main invisible. Dans ces moments suspendus, Herzi retrouve la sincérité et la pudeur qui avaient fait la force de ses premiers films.


Nadia Melliti, lumineuse de retenue, porte le film presque à elle seule. Son regard contient plus de contradictions que le scénario n’en écrit : pudeur et désir, peur et curiosité, honte et émerveillement. Park Ji-min, en amante de passage, apporte une douceur étrange, mais son rôle reste trop évanescent pour contrebalancer la solitude de l’héroïne.


En définitive, La Petite Dernière est un film bancal, souvent touchant, parfois frustrant. Il aborde un sujet rare avec sincérité, mais sans la rigueur ni la profondeur qu’il exige. On sent une cinéaste écartelée entre deux élans: celui du réalisme brut et celui de la démonstration symbolique. Il en résulte une œuvre pleine de bonnes intentions, mais elle aussi déchirée entre foi et liberté, entre pudeur et provocation.


Au fond, La Petite Dernière n’est pas un film sur l’émancipation, mais sur la dissonance : celle qui naît quand la foi, le corps et le désir cessent de parler la même langue. Et si le film dérange, c’est peut-être parce qu’il révèle, malgré lui, cette vérité universelle: que le désir, avant d’être une promesse, est d’abord une fracture.


On en sort un peu ému, un peu agacé, comme si le film lui-même, à l’image de son héroïne, cherchait encore sa voie.


HaroldFouques
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le 8 nov. 2025

Critique lue 12 fois

Harold Fouques

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