La prisonnière du désert s'ouvre et se ferme sur le même plan, un plan iconique du western : celui de l'extérieur vu du foyer. Car le foyer est au centre du récit. Ethan (John Wayne) ne rentre enfin chez lui que pour voir sa famille massacrée par les indiens, à l'exception des deux jeunes filles, captives. Pourquoi passe-t-il tant d'années à rechercher Debbie, qu'au fond il ne connaît pas? Parce que sans elle, il n'est plus qu'un vieux solitaire, il n'a plus de foyer, toutes ses possessions ne signifient plus rien. Ce qui explique la scène du testament : à quoi lui sert de posséder de la terre s'il n'a personne avec qui vivre dessus? Son compagnon, Martin Pawley (Jeffrey Hunter), a la jeune Laurie (Vera Miles), il a l'usage de toute cette propriété. Finalement, à une échelle plus grande, Ethan cherche la même chose que le vieux Mose Harper et son rocking chair (Hank Worden), une place auprès des autres.


Pour autant, Ethan est un sale type : pourquoi ne rentre-t-il que trois ans après la fin de la guerre, portant toujours son uniforme, muni de dollars yankees non marqués? On devine qu'il est l'un des franc-tireurs de Quantrill, ou d'une autre bande dans ce goût là, un maraudeur et un tueur se servant de son allégeance à la confédération comme prétexte pour ses actes de banditisme. Au moins croyait-il vraiment en sa cause, en atteste son regard quand il donne sa décoration militaire à Debbie en guise de collier : "ce truc ne vaut plus grand chose", se justifiera-t-il."

Et puis, il est raciste, les indiens sont pour lui, clairement, une race inférieure, aussi méprise-t-il le jeune Pawley pour son huitième de sang indien.

C'est d'ailleurs le sujet. Sa longue quête sera un parcours initiatique. Apprenant à estimer Martin Pawley, dont la ténacité vaut bien la sienne, si l'expérience lui manque, Ethan commencera à changer après la vision du cadavre de Look, la squaw ayant rejoint leur groupe par malentendu. Le cadavre de l'indienne lui en rappelle-t-il un autre? C'est alors, en tout cas, qu'il se rend compte que les tueries sont aussi aveugles dans un camp que dans l'autre.

Si Ethan veut récupérer Debbie, devenue une comanche, il lui faudra changer, profondément. Abandonner ses frénésies meurtrières, et ses préjugés.




La prisonnière du désert est un film somptueux : les décors de Monument Valley, iconiques du cinéma de John Ford, sont magnifiés comme jamais en VistaVision. Les plans de neige sont également d'une grande beauté. Souvent sombre et desespéré, non dénué d'humour pour autant, et traversé en entier par un souffle épique, La prisonnière du désert est un western qui marque, un grand film, qu'on soit amateur du genre ou non. Si John Wayne et Jeffrey Hunter sont les personnages principaux, n'oublions pas Ward Bond, en notable cumulant les charges de shérif, capitaine de la milice et pasteur, truculent comme souvent. Hank Worden, habitué des films de John Ford, est Mose Harper, que tout le monde considère comme un vieux fou, qui comme John Wayne, cherche sa place dans la communauté. Vera Miles en femme délaissée, au caractère de feu. Nathalie Wood, tiraillée entre sa vie chez les comanches, et les souvenirs de sa famille. Henry Brandon est Scar, le chef indien, l'insoumis qui souhaite la liberté pour son peuple. La même année, on le voyait jouer Black Cloud, l'indien rénégat de Comanche de George Sherman, film mineur, dans les deux cas il est crédible en comanche.


A la fin de La prisonnière du désert, nous voyons John Wayne apaisé, changé. Il n'est plus le bandit aveuglé par la haine du début. Et alors nous comprenons que c'est le pays, que ce sont les circonstances qui l'ont fait devenir ce qu'il est. C'est la guerre entre indiens et blancs qui a aiguisé sa haine du comanche. C'est la guerre de sécession qui l'a fait devenir un bandit. Pour autant, les autres sont restés au pays, ou sont revenus après la guerre. Mais Ethan était une tête brûlée. Il lui fallait encore apprendre, s'assagir. Pour John Ford, c'est la communauté qui prime, c'est elle qui doit modeler ce que nous sommes, et alors le foyer peut devenir un rempart contre la sauvagerie du monde extérieur. Si vous refusez cela, c'est la civilisation elle-même que vous refusez, et vous devenez vous même un sauvage. Les femmes, en retrait dans le film, savent cela naturellement. Mais elles doivent laisser les hommes l'apprendre par eux-mêmes. Laurie comprend cela très bien. Cela ne l'empêche pas d'en souffrir.

Heureusement, il y a toujours place pour la rédemption. Simplement, elle doit venir de soi-même.

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le 1 oct. 2025

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BigDino

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