La Punition
6.8
La Punition

Film de Matías Bize (2022)

Étrange coïncidence cinématographique : en 2022, deux réalisateurs, l’un chilien, l’autre chinois, imaginent exactement la même scène fondatrice — un couple en voiture, une dispute, un enfant qu’on laisse sur le bas-côté pour « lui donner une leçon », et la punition qui se retourne, implacable. Quand les parents reviennent, l’enfant a disparu. À partir de ce point de rupture identique, Come Back Home et La Punition empruntent deux routes diamétralement opposées — l’une vers la neige et la culpabilité spectaculaire, l’autre vers l’intériorité nue et l’effondrement moral.

Chez Law Chi-Leung, le drame devient épopée de survie. Le décor : une montagne enneigée, des hélicoptères, des chiens de sauvetage, des larmes figées dans le froid. Le film avance comme une tragédie filmée par drone — un mélange de The Revenant et de soap familial, où la nature hostile fait office de tribunal cosmique. Tout y est glacé, y compris l’émotion, polie par le vernis du mélodrame et les effets numériques. Le cinéma de Hong Kong, dans sa veine commerciale, n’a jamais reculé devant le pathos ; ici, il l’enrobe d’une morale expiatoire : les parents fautifs devront mériter leur pardon à coups de tempêtes.

Chez Matías Bize, au contraire, la disparition de l’enfant se déroule dans un huis clos de culpabilité. Pas de neige ni de sauveteurs, seulement des visages qui se décomposent, des silences qui s’allongent, et la lente déchirure d’un couple. Bize, fidèle à sa manière (En la cama, La mémoire de l’eau), filme la tragédie à hauteur d’homme, sans hors-champ spectaculaire, sans musique rédemptrice. Le drame devient métaphysique : ce n’est plus un enfant qu’on perd, c’est la possibilité d’être deux.

Ainsi, les deux films, produits à des milliers de kilomètres de distance, racontent la même faute universelle : celle de croire qu’on peut punir sans conséquence. Mais là où le film chinois transforme cette culpabilité en récit d’action et de rédemption nationale, le film chilien la distille en poison intime, sans issue ni apaisement.

Le plus fascinant, c’est que cette ressemblance n’est pas due au plagiat, mais à une convergence morale de notre époque : dans un monde saturé d’autorité parentale anxieuse et de communication défaillante, le cinéma, qu’il soit d’Asie ou d’Amérique latine, en revient à la même fable primitive — perdre un enfant pour comprendre qu’on s’est perdu soi-même.


20100vincent
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Ma FilmoTec

Créée

il y a 6 jours

Critique lue 2 fois

Vincent 20100

Écrit par

Critique lue 2 fois

D'autres avis sur La Punition

La Punition
DoisJeLeVoir
8

Critique de La Punition par DoisJeLeVoir

La Punition nous propose un scénario fort avec un fils laissé sur le bord de la route comme punition, puis qui disparaît. Encore une belle surprise venant du Chili. Cette histoire est simple, ce qui...

le 5 févr. 2024

2 j'aime

La Punition
20100vincent
7

L’enfant sur le bas-côté

Étrange coïncidence cinématographique : en 2022, deux réalisateurs, l’un chilien, l’autre chinois, imaginent exactement la même scène fondatrice — un couple en voiture, une dispute, un enfant qu’on...

il y a 6 jours

Du même critique

Niagara
20100vincent
6

Les chutes vertigineuses de Marilyn

Henry Hathaway savait filmer le danger, mais avec Niagara (1953), il s’attaque à un péril bien plus redoutable qu’un hors-la-loi armé : un couple en crise en pleine carte postale. Tout est là : le...

le 8 janv. 2020

1 j'aime

La Punition
20100vincent
7

L’enfant sur le bas-côté

Étrange coïncidence cinématographique : en 2022, deux réalisateurs, l’un chilien, l’autre chinois, imaginent exactement la même scène fondatrice — un couple en voiture, une dispute, un enfant qu’on...

il y a 6 jours

Polar Rescue
20100vincent
5

Deux routes, un enfant, et le même silence

Il faut croire que 2022 fut une année propice aux punitions parentales. À plusieurs milliers de kilomètres de distance, un cinéaste chilien et un réalisateur chinois ont eu exactement la même idée :...

il y a 6 jours