Je l'ai longtemps attendue, cette Tortue Rouge. J'ai longtemps espéré, en scrutant l'horizon, la voir se dessiner dans l'eau turquoise, se dirigeant vers les plages de ma cinéphilie, caressant le sable de mon imaginaire de ses longues nageoires. Semaine après semaine, son absence m'attristait. Jusqu'à ce jour où j'ai pu enfin faire sa connaissance. L'envie de plonger à sa rencontre me submergeait. Mon amour pour elle était acquis comme une évidence. Ma passion ardente lui était promise, assortie d'une place certaine dans mon top 10 2016.
Les images sont très jolies. Sur les écailles de cette Tortue Rouge, la simplicité du trait de ses personnages se marie de manière douce et feutrée avec la richesse des décors. La 3D est discrète, tout comme les chéloniens qui s'en habillent, sans jamais se distinguer. La nature est souveraine, le naufragé sans nom, sans parole, démuni, totalement détaché et isolé de ce qui le définit. Mais dès les premières minutes, le coeur me souffle à l'oreille que quelque chose cloche, inexplicable. Comme si le naufragé nous était comme lointain et indifférent. Il aurait mieux valu que cette impression se dissipe.
Car malheureusement, la sensibilité de La Tortue Rouge est bien plus européenne que nippone. Malheureusement, avec tout ce que cela comporte en terme d'identité qui peine à se déterminer. Le film de Michael Dudok De Wit oscille entre poésie, drame et conte un peu vagabond dont le ciel se grise plus que de raison. Les images sont toujours magnifiques, l'onirisme est parfois au rendez-vous, donnant naissance aux plus beaux plans du film. Par instants.
Car pour le reste, La Tortue Rouge est souvent bien plus terre-à-terre qu'elle ne le laisse penser. Et fait évoluer un protagoniste égoïste et colérique comme il ferait évoluer un enfant roi qui boude et trépigne quand il est contrarié. Jusqu'au sacrifice inutile et idiot, encore sous un coup de colère en forme de cruauté. Dans un désir de répondre à la frustration en infligeant la souffrance. Et La Tortue Rouge ne se remettra jamais de ce pêché originel qui serre le coeur et révolte intérieurement. Sans pour autant que le tortionnaire ne soit puni de sa bêtise. Non. Au contraire, presque : on lui offre de la compagnie, pour qu'il s'ennuie moins et puisse se perpétuer, sous l'angle d'une fable ou encore d'un conte qui navigue à vue en abolissant, ultime échappatoire, la frontière entre la réalité et l'onirisme... En s'ancrant de plus en plus dans une réalité où le temps se dérobe et où aucune symbiose n'existe réellement entre l'homme et son environnement. Il vit, c'est tout, dans un état de nature un peu bienheureux, sous l'oeil assez lointain de la caméra de Michael Dudok De Wit, dans une réalité à peine bouleversée par la colère des éléments qui n'a finalement pas grande conséquence.
Puis la génération suivante s'émancipe, sans répéter la faute originelle de son géniteur. Celui-ci vieillit. Le cours du temps ne ralentit pas. Il coule des jours heureux et a procréé avec sa promise, qu'il a pourtant gratifiée de son amour de circonstance à coups de bambous sur la cafetière. Mais ce n'est pas grave : au crépuscule de sa vie, les mains se touchent. Et la promise est rendue à la mer, comme si la faute du début du film était pardonnée. La forme du conte maladroit reprend le dessus sur un naturalisme joli mais aux instants figés et impersonnels. Alors même que le film emprunte pourtant son évolution au superbe Conte de la Princesse Kaguya. Mais là où Isao Takahata convoquait la magie et l'émotion baignée de larmes, La Tortue Rouge, dans son influence très européenne, ne résiste pas au poids du péché originel qui serre le coeur. Malheureusement dans le mauvais sens du terme.
Dommage...
Behind_the_Mask, qui téléphone à la S.P.A.