Deux ans après le très sensoriel ( et très réussi ) Earwig Lucile Hadzihalilovic accouche du somptueux La Tour de Glace, objet formel d'une beauté tour à tour opaque et singulière au coeur duquel la réalisatrice propose une libre relecture du conte d'Andersen La Reine des Neiges. En offrant à Marion Cotillard le rôle emblématique d'une actrice incarnant la figure sus-citée ( étrange reine entièrement imprenable et fascinante, de laquelle la jeune adolescente interprétée par Clara Pacini va s'enticher à mesure que son évolution vers l'âge adulte va peu à peu s'effectuer...) Lucile Hadzihalilovic étaye son argument en la forme d'une fable encore et toujours typiquement stylisée doublée d'un sens de l'atmosphère pour le moins atypique. D'une audace à la suivante la cinéaste n'hésite pas à jouer sur une lumière sous-exposée n'étant pas sans rappeler celles des travaux du plasticien Philippe Grandrieux ainsi que sur un sound design particulièrement soigné. La résultat est envoûtant, mystérieux et plus évocateur que réellement explicatif, des formes kaléidoscopiques des premières images renvoyant au Cinéma expérimental de Stan Brakhage aux sensations haptiques et texturées des films de Peter Strickland ( Berberian Sound Studio et In Fabric, principalement...) en passant par les impressions oniriques de l'Oeuvre de David Lynch.
Désarçonnant au premier visionnage, passionnant et hypnotique au second La Tour de Glace fait montre d'une intemporalité ouvrant ledit conte vers autant d'interprétations contraires et entêtantes : entre le Cinéma alpin des années 1920-1930 de Arnold Fanck et le contexte seventies de son principal arc narratif le quatrième long métrage de l'auteure de Innocence peut dans le même temps signifier l'emprise d'une star sur sa groupie ( emprise au coeur de laquelle a cinéaste instille un malaise quasiment vampirique dans les dernières minutes de son film ) qu'une sorte de mise en abyme labyrinthique du conte d'Andersen, le méta-film dépliant son sortilège au gré de séquences de tournage orchestrées par Gaspar Noé...
Les impressions tactiles, légion en la forme dudit métrage, figurent alors un désir de nous faire perdre pied dans un conte pour adultes aussi cruel que nébuleux, véritable expérience livrant de superbes éclats de style et d'émotions de toutes sortes. Peu verbeux et encore moins bavard le Cinéma de Lucile Hadzihalilovic trouve là un nouvel aboutissement poétique et élégamment atemporel, mélange de décors pertinemment factices et de costumes dévorant des images hautement sidérantes, magnifiées par le travail remarquable de Jonathan Ricquebourg ( déjà responsable de la photographie du précédent Earwig ). Un film obsédant opérant tel un glissement progressif sur son audience, à voir et surtout à défendre en ces temps marqués par le joug du formatage artistique généralisé...