La Traversée
7.3
La Traversée

Long-métrage d'animation de Florence Miailhe (2020)

La quête obsessive de l'universalité

La Traversée est typiquement le film que le néophyte lambda décrirait de loin à un film sur l'immigration qui se veut moralisateur et humaniste en dépeignant des migrants et en montrant leurs parcours de leurs maisons jusqu'à une terre plus sûr, et de loin, moi même j'avais quelques réticences. Cependant j'aime beaucoup le travail de l'animation peinture. Que ce soit la rotoscopie d'un Passion Van Gogh ou le traitement plus fantaisiste et envoutant d'un Mémorable, je suis intéressé lorsqu'un film d'animation manipule des procédés d'animations peu utilisés, et voyant que le film a reçu une mention spéciale du jury au festival d'Annecy 2021, le film a su capter mon attention. Pour quel résultat ? C'est pas tout à fait ça.

En tout cas en terme de réalisation il y a très peu à dire tant le travail fournis est tout aussi réussit que colossale. C'est beau, c'est magnifique même. On est invité dans un voyage qu'on pourrait presque décrire comme onirique, dans sa première partie. On peut regretter peu être la scène d'ouverture, mélangeant habilement l'animation peinture et le maquettage représentant la narratrice à son plan de travail voire la réalisatrice face à son bureau en train de réaliser le film que l'on regarde (on y reviendra plus tard), qui peut paraitre chargé et difficilement lisible la première fois tant il y a de couleurs vives et tant on arrive pas toujours à distinguer la peinture qui sert à l'animation et les traces de peintures de l'atelier. Mais dès que l'histoire commence, on est très agréablement surpris par la qualité graphique. C'est une parenthèse enchanté et poétique où les pensées de la réalisatrices et l'imagination de l'enfance se mélangent pour créer des scènes fantastiques où un personnage dans un train va s'endormir, et où l'on peut avoir des scènes surréalistes où l'on voit le train presque s'envoler et faire son trajet à travers la vitre du train. Cette innocence de l'enfance est une porte d'entrée pour jouer avec les transitions, proposer des formes abstraites et des personnages qui se métamorphosent et changent de forme au fur et à mesure que le point de vue du personnage principale change vis-à-vis de ce qu'il voit. Dans sa deuxième parti, le film se concentre sur ses personnages plus que sur ce qui se passe. A l'image de son personnage principale qui passe de l'enfance à l'adolescence, le centre d'intérêt du film change au grès des préoccupations de son personnages principales, et là où, enfant, le personnage principale est plus préoccupé par la peur de ne plus jamais revoir ses parents et le tumulte ambiant de sa condition, adolescent le personnage a évolué et prend plus le temps de respirer, de se construire une identité, et de penser à sa survie avant tout. Le tout est marqué par le récit qui est extrêmement rythmé et anxiogène dans sa première parti avant d'être plus lent et plus calme dans sa seconde parti.

Mais malgré mon grand amour pour l'animation qui est grandiose, j'ai un énorme soucis avec l'écriture du film. Le film ne sait pas raconter son histoire. Cela parait paradoxale vu que le scénario a apparemment gagné un prix en 2010 à sa lecture, mais à aucun moment je n'ai cru à ce que je voyais, ce qui est pas nécessairement une bonne chose lorsque l'on parle d'évènements s'étant vraiment passé. Je ne remet absolument pas en cause la véracité du récit, on sent tout du long que le film est tiré de faits réelles. Le film sait raconter les petites scènes qui font un tout, ces détails infime qui prouvent que ce qui est dit est vrais. Mais à aucun moment on est attaché émotionnellement, et plus que ça, on a des doutes qui font que l'on ne croit pas en cette histoire. Déjà émotionnellement, mise à part le personnage principale qui arrive à avoir des scènes où elle a un peu de matière, tous les personnages ou presque n'ont pas de personnalités. On a bien le personnage principale qui arrive à avoir des scènes de pure humanités où l'on en apprend plus sur elle, mais le récit voulant nous ressentir cout que cout l'épreuve de la traversée et de la migration que l'on omet des détails sur qui sont les personnages et ce qu'ils peuvent ressentir. Comment voulez vous faire ressentir des sentiments à travers des personnages dont on ne veut pas donner d'identités marqués ? Si l'on ne donne pas d'identité marqué, nous, en tant que spectateur, on risque de ne pas croire en l'humanité de ces personnages et on ne dépasse pas l'aspect récit de l'histoire et on reste sur des personnages alors que l'on voudrait voir des personnes. Dans la saga Avatar et notamment Le dernier maitre de l'air, on avait cette notion de voyage et de course contre la montre pour la survie du groupe, mais on arrivait à nous faire vivre des émotions à travers les personnages car on croit en eux, on croit que ce sont de vrais personnes, et on souffre quand ils sont dans la misère car on voit de vrais personnes souffrir. Mais cette dépersonnalisation des personnage s'explique en parti dans une volonté qu'a le film de généraliser le destin de ses personnages avec celui d'autres qui font aussi une migration pour fuir leurs pays, d'où un titre à la fin du film précisant que ce film a été réalisé pour ceux qui sont dans la même situation d’exil et de voyage. Et là on arrive à mon plus gros soucis vis-à-vis de ce film, on a tellement toucher au récit pour en faire un récit universelle qu'il en devient impersonnel, et cela en remet en question tout ce qu'on voit.

Je disais plutôt qu'il y avait un carton indiquant le film était dédié à ceux qui ont migrées et ont risqués leurs vies pour chercher une vie meilleur, mais ce n'est pas le seul carton. Il y a d'abord un hommage à la mère de la réalisatrice et à sa grand mère qui, on le devine, ont fait une traversée pour venir en France (le carton était trop rapide, j'ai pas pu tout lire). Tout le récit est montré comme un récit biographique racontant l'histoire d'un personnage ayant exister qui fuit son pays, mais on veut tellement rendre la chose universelle qu'on ne s'attarde pas sur d'où est ce qu'elle part, où est ce qu'elle doit aller, au point que le synopsis résume la chose de manière grossière parce que le film lui même a l'air de vouloir résumer la chose de manière grossière. Au début de la fuite, on a des simili SS à brassard jaune qui pillent le village du personnage principale. Ils sont présentés de manière assez maladroite et peu subtile avec des phrases bateaux de personnages qui doit être méchant pour être méchant, et la narratrice ne fait pas l'effort de les présenter autrement. Elle dit littéralement: "Ils sont méchants juste pour être méchant, faut pas leur en vouloir, ils souffrent, du coup il leur faut un souffre douleur, donc ils nous attaquent". Mais plus que des situations qui sont présentés de manière grossière, tout le récit est construit de manière assez grossière. Tout le film peut se résumer à un schéma narratif qui se joue en boucle. Les deux enfants arrivent à un endroit, ils essayent de s'intégrer, ils ont des emmerdes ou n'arrivent pas à s'intégrer, ils s'enfuient, ils s'intègrent, mais ont des problèmes, ils doivent fuire... répétez ça jusqu'à la fin du film. On sent que c'est une technique pour structurer un récit qui s'étend sur des années, accumulant les anecdotes, et permettant de trouver un rythme qui ferra tenir l'ensemble malgré que cela ne se soit pas passé comme ça dans les faits. En soit ce n'est pas tant un défaut car on ne le remarque pas tant, mais cela explique le sentiment de longueur qui parcours le film et un côté impersonnel qui gâche toute la beauté du film. Tout le film hurle que ses évènements sont réelles et sont propres à l'histoire de sa réalisatrice mais c'est tellement manipulé et adapté pour un film de 1h20 que l'on perd en authenticité. A cela s'ajoute le fait que la réalisatrice semble vouloir s'approprier un récit qui, en résumé, n'est pas le sien et donne un amer goût un peu douteux. Je l'avais dis plutôt, le film s'ouvre sur un plan de l'atelier de la réalisatrice. On a un plan subjectif allant vers le bureau, ouvrant le carnet de dessin du personnage principale, et la narratrice parle à la première personne, nous expliquant que la narratrice de l'histoire est le personnage principale. Mais mon soucis, c'est que la manière qu'a la réalisatrice de nous présenter son histoire relève surtout de la transmission de souvenirs d'une autre personne qu'un récit détaillé qui viendrait directement de la réalisatrice. Cela expliquerait en parti le côté vague et peu précis de chacune des étapes du personnage principale mais, comme je le disais plutôt, tout est résumé de manière un peu grossier. L'héroïne va dans un cirque, on nous montre vite fait deux numéros, et on s'en va. l'héroïne arrive dans un camp de jeune des rues, elle y rencontre un personnage, elle reste un peu, et est emmené autre part. De ça découle un sentiment d’ennuis qui nous sort du film, et qui n'est pas aidé au fait que l'on nous fait pas ressentir clairement les personnages ni leurs situations. On ne sait pas où est ce qu'ils vont, on ne sait pas ce qu'ils doivent faire, on ne sait pas ce qu'ils vont leurs arriver, et on a pas envi de savoir. Il y a bien 3 scènes qui captent l'attentions car ce sont des scènes qui sont clairs et/ou qui ne cherchent pas à toujours courir après le scénario. Il y a la scènes chez les riches et en prison où l'on comprend très rapidement que les personnages doivent s'échapper (et du coup captent l'attention car on a une situation universelle clairement identifiable), et la scène dans le lac (pour moi la meilleur du film) où le film se pose, devient plus simple et naturel dans son récit, et prend juste le temps de nous montrer son personnage principale se reposer.

Au final le film est plus triste qu'il n'enchante car oui c'est beau et oui il y a de très belles scènes où l'on prend le temps de profiter des personnages, de s'intéresser à eux et à ce qui se passe, mais on ressent une volonté de nous faire apprécier le moment plus qu'on le devrait. On sent que l'histoire est passionnante, intime et authentique, mais que faute de ne pas parler du cas de tous les migrants et de ne pas parler à tout le monde, on a voulu rendre commun ce qu'il n'aurait pas du l'être sous prétexte de vouloir le rendre plus universelle. Faut pas dénaturer des histoires pour les rendre universelles, généralement il faut laisser les histoires tel quel, en nous impliquant émotionnellement avec les personnages. Les graphismes sont tellement beau et tellement singuliers, cela méritait une histoire qui l'est tout autant.


10,25/20


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Youdidi
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le 1 oct. 2021

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