Après Kyoshi Kurosawa, pour le Secret de la chambre noire en 2017, c’est au tour de Hirokazu Kore-eda de choisir la France comme terre d’accueil à ses thématiques de prédilection. Un choix moins surprenant qu’il en a l’air, puisque notre homme avait déjà opté pour le changement de registre par le passé, comme en 2017 avec The Third Murder, pour casser son image de nouveau “Yasujirô Ozu”. Un pari réussi sur ce plan-là, puisque La Vérité fait moins penser au maître du shomingeki qu’aux drames familiaux européens : une famille bourgeoise, un torrent souterrain de non-dit ou de rancœur, une douce lumière automnale, et c’est l’univers de L'Heure d'été d'Assayas ou de Sonate d’automne d’Ingmar Bergman qui revient à notre mémoire. Une comparaison quelque peu flatteuse, il est vrai, tant le film de Kore-eda peine à satisfaire des attentes forcément immenses depuis le superbe Une Affaire de famille.


Le changement de ton voulu, pourtant, s’affiche à l’écran dès les premiers instants, au cours d’une séquence d’interview dont l’ironie palpable sera celle du reste du film : à l’occasion de la sortie de ses mémoires, la comédienne Fabienne Dangeville accueille la presse et esquive adroitement les questions. Contrairement à ce qu’indique le titre du livre, la vérité ne sera jamais à l’ordre du jour, l’autopromotion fallacieuse prenant le pas sur toute démarche d’authenticité. Et c’est au milieu de ces petits arrangements avec la réalité, qui font de la vie de Fabienne une fiction dans laquelle elle a toujours le meilleur rôle, que va devoir évoluer sa fille Lumir afin de régler ses comptes avec le passé : sa vie de famille a-t-elle réellement compté pour elle ? Pourquoi ne mentionne-t-elle pas le nom de son ancienne amie et rivale ? Par vanité, aurait-elle fait disparaître tout ce qui pourrait ternir son image ?


Mais si Lumir est bien décidée à confronter sa mère à ses mensonges ou contradictions, Kore-eda n’affichera jamais une telle détermination en nous proposant guère mieux qu’un règlement de comptes soft, tiède et affreusement dépassionné. Sa personnalité, pourtant n’est pas reniée - on retrouve notamment son regard porté sur l’enfance ou les liens filiaux – mais elle peine à véritablement s’imposer dans un univers sous haute influence et aux codifications bien établies (l’omniprésence de Catherine Deneuve à qui il faut rendre hommage, le tournage dans une langue qu’il ne maîtrise pas, le lien qui s’établit avec le cinéma d’Assayas, renforcé par la présence de Juliette Binoche et d'Eric Gautier, etc.).


La Vérité, ainsi, semble continuellement chercher sa voie, ne sachant pas trop s’il doit être satirique ou poétique, élogieux ou mélancolique. Le cinéma de Kore-eda, une fois délesté de sa singularité habituelle (l’univers socio-culturel nippon, la précarité japonaise...), devient alors presque anecdotique et forcément décevant : ses effets poétiques ne prennent jamais vraiment à l’écran (l’attrait de Charlotte pour les tours de magie, la danse dans les rues de Paris, etc.), ses pistes narratives semblent être aussi nombreuses que mal exploitées (l’opposition entre ceux qui acceptent de mentir et les autres, l’allusion à peine voilée à Françoise Dorléac qui n’est jamais creusée...), empêchant le scénario d’aller au bout de son idée initiale : à savoir explorer chez l’actrice ce qui relève de la comédie ou bien de ses réelles émotions.


Mais l’objet de toutes les attentions, c’est bien sûr Catherine Deneuve. Avec sa large palette d’émotions, elle donne à son personnage un véritable aplomb, une légèreté et un naturel qui brisent le potentiel nostalgique du scénario. La vieillesse en est en effet l’un des sujets, peu surprenant, passant néanmoins par une trouvaille : Fabienne joue dans un film de science-fiction où elle interprète la fille d’une femme immortelle, d’apparence plus jeune qu’elle, créant une confrontation des générations inversée. Une inventive mise en situation apportant de l’épaisseur à l’ensemble de ce film qui s’apparenterait presque à un faux documentaire fasciné sur Catherine Deneuve, qui le vampirise sans en avoir l’air.

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le 30 sept. 2022

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Procol Harum

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