Sortie de salle. A tâtons, chancelant. Je respire, je digère. J’ai pris une claque. Ca a vraiment duré trois heures ? Le temps lui-même, émerveillé.
J’ai pris du retard sur les sorties ciné, je vois le film bien après tout le monde. Avant cela ? Une Palme d’Or. Spielberg : « Une très belle histoire d’amour ». Puis, les polémiques stupides. Léa Seydoux qui balance. Qui balance quoi ? Trop dur le travail avec Kechiche pour elle ? Il lui offre son plus bel écrin. Il était dur, répétait les prises à l’infini. On disait pareil de Kubrick. J’ai entendu un cinéaste une fois dire que si on avait vraiment besoin de plus de 3 ou 4 prises, c’est que l’on n’est pas si doué que ça. Conneries. Ca s’appelle l’exigeance, Monsieur. Kubrick en avait à revendre, ses films sont des bijoux. Adèle Exarchopoulos semble suivre la même voie, elle s’arrête à temps. Les techniciens du film s’en mêlent, conditions de travail etc… Je leur laisse leur lutte, que je comprends.
Tout cela attire, attise ma curiosité. Je n’ai, honte à moi, vu aucun Kechiche. J’y vais donc vierge de toute familiarité avec son langage visuel. Il parait qu’il est radical et qu’il en rebute quelques uns. Parfait, voyons voir ça.
Cela fait une semaine maintenant. J’ai du mal à trouver les mots, pour en parler, pour expliquer ce que j’ai ressenti. Ce film se vit. Il est conçu comme ça, c’est un miracle. C’est une histoire d’amour, en entier. Début, milieu et fin. Passé, présent, futur. Cette jeune fille, Adèle, qui n’y connait pas grand chose du haut de ses 15 ans. Madame de La Fayette, dans La Princesse de Clèves, lui raconte le manque qui d’une rencontre se crée. Prémonition, passage de la théorie à la pratique, école de la vie, initiation. Adèle rencontre Emma. Cheveux bleus, Le Bleu est Une Couleur Chaude.
S’il est une scène qui résume la puissance du film, c’est celle du premier baiser. Gros plans, tout le temps dans le film. Les émotions jaillissent, le visage et ses infimes changements. On y est. On le sent, le temps qui s’arrête, le coeur qui bat la chamade. On le sent, le regard incertain, la respiration saccadée. Le visage s’avance, lentement. On l’a tous connu, on sait que c’est ténu, que ça glisse entre les doigts. Cette scène justifie à elle seule le procédé, le langage de Kechiche. C’est un miracle sur la toile. Un pur instant, d’émotion pure.
Le film ose les scènes de sexe. Mais le réalisateur a pour ambition de montrer l’amour, et tout l’amour. Il n’y a rien de porno. Le porno se vide d’émotions. Ici le sexe n’est pas gratuit, c’est l’aboutissement. Le climax qui signifie l’orgasme.
C’est l’apprentissage d’Adèle que le film raconte. L’apprentissage de l’amour, l’apprentissage de la douleur qui en résulte. La rupture. Les sentiments qui courent bien après, la douleur de retrouvailles dans un café. C’est une histoire qui trouve écho en chacun de nous, il faut vraiment n’avoir jamais aimé pour y rester de marbre. Abdellatif Kechiche a su capter toutes les émotions avec sa caméra. « Impossible de capter l’amour sur pellicule, impossible ! » Mais si. C’est le miracle du film. Et, lorsqu’à la fin, Adèle disparait dans un fondu au noir, on repense à Madame de La Fayette. Après avoir rencontré Adèle, il semble qu’il s’est installé comme un manque, là, en dedans…
francklalieux1
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le 29 oct. 2013

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Franck Lalieux

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