Un film très particulier que se soit dans sa forme, dans l'horreur omniprésente que de voir une famille pleine de joie à côté des horreurs d'un camp de concentration. Le titre nous y prépare, cette zone autour de ce camp si connu pour les souffrances qu'il a infligé à ses victimes. La mise en scène brille par son style presque documentaire mais aussi par la mise en valeur de l'évolution mentale des personnages. Chaque plan nous en dévoile un peu plus, presque aucun flou, une beauté magnifique dans la composition des plans mais surtout dans le cadrage. Accentué par l'ambiance joyeuse presque féerique de la famille. Les enfants rient, discutent, pataugent dans la rivière ; nous offrant autant de larmes que convenues.


Si ce n'était que cela, ça n'aurait été qu'un tire-larmes long et éprouvant. Au lieu de ça, le film nous offre une expérimentation différente de tous ce qui a pu précédée. La beauté des plans et la perfection de la qualité graphique reflète un véritable sentiment d'impuissance face à la formation d'un régime totalitaire et tyrannique. Mais là où les autres films sur le sujet les transforme en monstre, là il est question de nuance et de psychologie humaine. Car oui, ce film n'est pas qu'une simple expérimentation, c'est surtout au départ une volonté de créer une œuvre qui use de nuance et de complexité humaine.


Au-delà du cadrage et de la composition des plans, il y a quelque chose d'encore plus fort, plus marquant, plus poignant. Cette chose c'est la mise en scène, des plans larges, longs et en grande quantité. On a le droit a une véritable mise en place de la famille, on nous montre le travail des femmes de l'époque, les activités en famille. Sur ce point-là le film est une véritable leçon usant des codes classiques pour offrir une version moderne.


La mise en scène a la faculté d'explorer l'esprit humain, en particulier celle de la femme du chef du camp de concentration. Mise souvent à l'écart par la plupart des films sur les nazis, là c'est tout le contraire, elle prend toute la place, elle s'impose dans le cadre. Le film souhaite vraiment la mettre en valeur, il veut qu'elle soit un peu le personnage principal. Là aussi, c'est très rare pour un film sur les nazis et les camps de laisser la place à la femme, et encore moins de la présenter comme une véritable adoratrice de ce mode de vie qui nous paraît si malsain. Elle n'est ni la pauvre victime d'un monstre ni la méchante femme d'un méchant nazi. Le film arrive à nous transmettre ce désir de nuance et de complexité psychologique.


Le rythme y est par défaut très lent, d'un silence presque total, des longs plans presque des plans séquences à certains moments. On n'est pas pressé, on contemple juste le film et on essaye de comprendre tous les messages subtils. Le talent des acteurs fait rayonné le récit, le film historique arrive à se construire brique par brique au fur à mesure que ça avance. C'est tout particulièrement Sandra Hüller interprétant la femme du chef du camp (Auschwitz) qui arrive à donner un sentiment d'indifférence, qui arrive à troubler le spectateur.


La puissance émotionnelle du film est sur la longueur, on ajoute toujours plus de regards et de sentiments différents au cours du visionnage, les plans transcendent dans l'esprit, nous laissent bouche bée plein de questionnements. Sans nous donner de réponses clair, le film use du style contemplatif, sans nous en mettre trop non plus. On a le regard projeté, on a l'image en tête de l'horreur à côté, ou du moins on l'imagine. Ce regard se conceptualise, il devient plus vrai que jamais, le plus pertubant de tous les sentiments que peuvent offrir le film.


Malgré toutes les qualités que je lui reconnait, il est forcé d'avouer qu'il est très lent dans sa démarche, s'épuise au fur à mesure, les plans perdent de la puissance au fil du film malgré cette mise en scène de grande qualité. Certains sont répétitifs sans vraiment de but, ce qui donne l'impression que le film veut en faire trop. Je comprends davantage ceux qui l'ont trouvé ennuyeux, moi aussi je me suis un peu ennuyé tout de même. 2h de plans longs presque séquence, j'aurais apprécié en tant que documentaire ce genre de plans, mais en tant que film c'était assez pesant. Le film aurait dû aller droit au but, ne pas se perdre avec des séquences trop longues pour leurs utilités.


Heureusement, la scène finale sauve le tout, le lancement du régime nazi est très fort, le plan sur la cour est grandiose, reflétant le sentiment de supériorité du personnage. Puis a lieu la scène finale dans les escaliers, on voit vomir le nazi comme dégouté de l'horreur qui l'a accepté de faire. Notre regard sur le personnage devient net, ce n'est plus qu'un regard d'horreur mais un regard humain. La descente des escaliers de Rudolf Höss (interprété par l'excellent Christian Friedele) est comme une descente aux enfers du personnage, comme s'il allait rejoindre le diable, notre nouveau regard sur le personnage permet l'interprétation de nombreuses possibilités. Ensuite, a lieu un long plan séquence de Rudolf regardant dans le vide, le vomi à la bouche, nous livrant une fin énigmatique qui laisse supposer beaucoup de choses. Les interprétations sont multiples et variées, cette fin permet au spectateur d'imaginer la suite. Cette fin est aussi très émouvante, elle détruit le regard fixe stable depuis 2h pour le changer et fait accepter au spectateur la triste réalité des choses.


Avec cette fin, le but est de permettre la réflexion au spectateur même après la fin du film, elle laisse des frissons. Les sentiments ressentis pendant deux longues heures ne sont plus là, le spectateur a tout perdu, son regard, ses croyances. La fin de La Zone d'intérêt laisse des traces, c'est de loin la scène la plus marquante, la plus mémorable, tout y est, émotion et surprise.

Bilan & Avis :

La Zone d'Intérêt qui marque, son talent de mise en scène, de cadrage et de composition laisse place à une œuvre de toute beauté, renouvelant quelque chose d'oublié. La réalisation de Jonathan Glazer a permis au film de briller, aidé par ses deux acteurs principaux Sandra Hüller et Christian Friedel. Toutefois, il est important de noter la trop grande longueur du film, qui répète des scènes pas de la plus grande utilité. La fin donne un aperçu nouveau et réussi à nous émouvoir avec une grande facilité. Tout est subtil dans ce film, notre regard est posé sur la mise en scène plus que sur l'histoire en elle-même. Le changement du regard du spectateur démontre la puissance émotionnelle du film. On peut en conclure qu'il mérite sa reconnaissance, en évidence un excellent film historique, de loin le meilleur de Jonathan Glazer.







Beyondix
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le 5 sept. 2025

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