J'ai découvert Hélène Cattet et Bruno Forzani avec Amer, il y a quelques années. Je me souviens avoir été bluffé par l'exigence de leur mise en scène sublime et d'une prise de son qui frôlait la perfection. C'était très beau, mais un peu chiant. Amer, c'est comme si le scénario était au service de la mise en scène. En résultait un récit confus, difficile à avaler sur 1h30.


C'est donc avec un certaine appréhension que j'ai poussé la porte de mon cinéma. Car malgré la belle affiche et une bande annonce de malade, je sentais venir un exercice de style creux comme une coquille vide. Je suis ravi de voir que je me suis trompé.


Après s'être attaqué au giallo avec Amer, les deux réalisateurs continue leur exploration du cinéma de genre italien avec un "laissez bronzer les cadavres" qui s’apparente plus au western spaghetti. Pas de cow-boy, ici mais des braqueurs de fourgons. Pas de désert espagnol non plus, mais un village abandonné en corse. En revanche, on a le droit à tout ce qui à fait le succès d'un Sergio Leone/Sollima/Corbucci (choisissez votre Sergio préféré). Des gros plans, des contre-plongée, peu de dialogues, des zooms brutaux et quelques morceaux d'Ennio Moricone.


Mais Cattet et Forzani ne se contente pas de copier les maitres du genre. Ils utilisent les codes du film de genre italien pour proposer une expérience cinématographique nouvelle. Un truc très personnel, qui n'a jamais été vu nul part. "Laissez bronzer les cadavres" est avant tout un film de mise en scène, de prise de son et de montage. Aucun plan n'est banal dans "Laissez bronzer les cadavres. AUCUN ! Que ce soit une banale scène de dialogue, une fusillade, ou juste un type qui allume sa clope, à chaque fois les deux réalisateurs proposent au moins une idée de mise en scène original. C'est d'ailleurs à mes yeux son principal défaut. Si on prend n'importe quel grand film, on se rend compte qu'il ne s'agit finalement que de scènes disons "classique" (mais pas forcément moins brillante, hein), mais entrecoupé de fulgurances de mise en scène. Ici, le film n'est composé que de fulgurance de mise en scènes, d'où un certain coté indigeste après une heure...


Coté montage, on est à peu près sur le même principe. Ca va vite. Très vite. Parfois trop. Quand une scène enchaîne 10 gros plans sur trois personnages en 10 secondes, je dois avouer que j'étais un peu aux fraises pour reconstituer mentalement l'action qui venait de se dérouler.


Un autre aspect très important concernant le cinéma de Cattet et de Forzani est le son. Le couple a filmé la quasi-intégralité du film en muet (sauf pour les rares scènes de dialogues). Tout a ensuite été réenregistré en studio. Chaque infime petit bruit prend alors une ampleur extraordinaire. Comme si le spectateur avait soudainement développé une ouïe hyper-sensible. On entend tout. Un souffle, un blouson de cuir qui grince, une cigarette qui se consume... Inutile de dire que quand un coup de feu retenti, ça pète sec ! C'est surtout cet aspect qui donne au film une ambiance si particulière et c'est ce qui semble être devenu une signature pour les deux réalisateurs.


A part ça, le scénario tient sur un timbre poste. Mais entre-nous, vu la complexité de la mise en scène, un scénario plus approfondi aurait juste rendu le film incompréhensible. Coté acteur, en revanche, on pourra souligner la présence charismatique de Bernie Bonvoisin, qui traîne sa carcasse de charcutier traiteur avec un classe toute personnelle, ainsi que deux acteurs que je ne connaissait pas, mais qui m'ont fait beaucoup d'effet ; Stéphane Ferrara qui a tellement de faux airs de Charles Bronson dans "il était une fois dans l'Ouest" que ça peut difficilement être un hasard ainsi que Elina Löwensohn qui m'a au départ fait l'effet d'une erzatz de Brigitte Fontaine, mais qui a révélé une sorte de magnétisme érotique torride que je n'aurais pas soupçonné chez elle.


Bref, "laissez bronze les cadavres" est un film unique en son genre. Il ne fera certainement pas l'unanimité, mais si vous êtes sensible à la mise en scène, et que vous aimer le cinoche italien des 70ies, courrez dans votre cinéma. Ce genre de film est trop rare et doit être encouragé.

Pom_Pom_Galli
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le 18 oct. 2017

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