Le genre : avec des amis comme ça, pas besoin d'ennemis
Etrangement, j'ai vu ce film très tard. Etrangement, parce que je suis petit-fils de républicains espagnols ayant fui le pays en 1939 à l'arrivée de Franco. C'est dire si le sujet a monopolisé les réunions familiales depuis mon enfance.
Mais mes parents parlaient de ce film comme un film décevant. Je sais pas trop à quoi ils s'attendaient en fait, peut-être plus d'informations sur la guerre, plus de nuances, nous monter que les franquistes étaient pas si méchants, qu'il y avait de tout dans l'armée franquiste aussi bien que dans l'armée républicaine.
Peut-être que l'histoire de ce jeune communiste anglais, chômeur de son pays, parti faire la guerre pour une cause qu'il croyait juste en 1936 ne les a pas touchés comme elle m'a touché.
Petit, ils m'avaient expliqué, tu vois, une république avait été instaurée en Espagne au début des années 30. Comme chez nous, les élections, la liberté d'expression. Les gens avaient voté, et le résultat du vote n'avait pas plu aux militaires, et à la partie la plus conservatrice de l'Espagne d'alors. La majeure partie de l'armée s'était soulevée, dirigée par le général Franco, général du nord du Maroc, encore espagnol à l'époque. Son but : prendre Barcelone et Madrid, et se déclarer à la tête du pays. Faire la guerre à tout ce qui ressemblait à un anarchiste ou à un communiste. Et manque de bol pour lui, ton grand-père était anarchiste.
Forcément, après je demandais "c'est quoi l'anarchie ?" Et on me répondait "Pas de dieu, pas de maitre. Seuls les gens comptent. Les gens, c'est le plus important. Il faut se battre pour eux. C'est ce qu'a fait ton grand-père en 1936."
Après au collège on l'a vue la guerre d'Espagne, mais c'était juste l'introduction de la seconde guerre mondiale. On ne m'a pas trop parlé d'anarchisme, on m'a juste dit que les républicains avaient perdu à cause de divisions internes, et parce que ni la France ni l'Angleterre ne leur avaient envoyé des armes.
C'est dire si ce film m'a surpris. Pour moi Ken Loach c'était un anglais qui filmait d'autres anglais tellement dans la merde que ça en devenait drôle. Qu'on savait pas si il fallait en rire ou en pleurer.
En fait quand j'y pense, c'est encore le cas dans ce film. C'est juste que cette fois il n'y a qu'un seul anglais, qui se retrouve au milieu d'une guerre dans un pays qu'il ne connait pas, il n'est même pas soldat. Mais il apprend.
Et il voit ses camarades tomber. Il gagne des batailles. Il comprend ce qu'est la guerre. Il tente de mettre ses convictions politiques en pratique avec les habitants du pays. Il tombe amoureux. Et tout s'effondre, ses camarades s'entretuent, la guerre est perdue, il rentre chez lui.
Pour moi, la scène emblématique du film, c'est pendant une réunion après la prise d'un village aux franquistes. Tous les villageois encore présents dans le village sont rassemblés, la question est de savoir si on met en commun les terres pour alimenter l'effort de guerre de la république. En mettant les choses en commun, on fait des économies d'échelle, si un villageois tombe malade ou a des ennuis pour s'occuper de sa terre, un autre paysan le remplace et ils partagent le fruit de leur travail. Ensemble ils peuvent acheter un tracteur. Enfin, à ce moment-là ils peuvent surtout rêver d'en acheter un.
Et il y a un villageois, seul au milieu de l'assemblée, qui explique qu'il est contre. Il n'a pas l'aisance des autres, on sent qu'il est timide et surtout qu'il a peur. Il dit que sa terre est petite, pauvre, mais c'est tout ce qu'il a. Il aimerait bien, mais il ne peut pas la mettre en commun avec d'autres gens. Il l'a reçue de son père et voudrait la transmettre à ses enfants. Les gens autour ont beau essayer de le convaincre, de l'apaiser, rien n'y fait.
Je viens de le revoir. Il y a beaucoup d'autres choses dedans. J'aime beaucoup l'organisation à l'intérieur de la brigade, il y a bien un chef, mais presque personne ne l'écoute. Les gens ne se battent pas pour lui. Et ça marche plutôt pas mal, le problème vient surtout du fait que leur armement est tout pourri. Et puis que les seuls qui leur proposent de l'équipement le font en échange de la dissolution de leur groupe et de l'incarcération (et plus si affinités) de la moitié de ses membres. Pour cause de collusion avec l'ennemi. Et puis il y a Icíar Bollaín.
Qui a réalisé "Te doy mis ojos" ("Ne dis rien", en français), "Tambien la lluvia" ("Même la pluie"), et dernièrement, "L'olivier", que je conseille grandement.
J'ai compris en voyant ce film que sa façon de tourner, d'exposer des histoires, dans l'économie, dans le choix des sujets, ça venait en grande partie de ce film. J'ai eu l'impression que ça a été une expérience fondatrice pour elle. Elle n'a pourtant pas un très grand rôle, celui d'une petite bonne espagnole qui rejoint l'armée républicaine après que ses employeurs anglais soient partis chez eux. Et à la fin elle finit cuistot de la brigade alors que c'est la plus mauvaise cuisinière.
Voilà. Land and Freedom c'est un film superbe sur des événements tragiques qui font que je suis là à écrire cette critique, en français. C'est un film drôle, aussi. Qui pose des questions toujours pas résolues aujourd'hui. Qu'est-ce que c'est qu'être libre ? Comment se partager la terre ? Jusqu'où l'engagement pour une cause peut-il aller ? Peut-on s'aimer au milieu d'une guerre, cela a-t-il un sens ?