Edgar Wright surprend.
Face à un cinéaste comme lui, on se doutait que ce premier essai dans le genre du thriller horrifique aurait au moins quelque chose de curieux. Sans être méfiant, j'avais toutefois la crainte d'un long-métrage bancal, transcendant mal la tentative en dehors d'un foisonnement d'idées.
Eh bien j'avais tort !
Dès sa scène d'introduction, Last Night In Soho témoigne d'un sens du rythme et d'une dynamique de mise en scène propre à Wright. Par le travail de l'étalonnage et de la chorégraphie, on jurerait être retourné dans les sixties (à un tel point que même moi, j'ai crû que l'action se situait vraiment à cette époque !).
Le réalisateur parvient à rendre compte de la bulle que s'est façonnée sa protagoniste en une poignées de plans finement pensés, bulle qu'il confronte ensuite à l'immensité de Londres : où se côtoie les restes d'un passé idéalisé, et d'une époque résolument moderne.
Une minuscule séquence, à priori anodine, témoigne déjà du stress et de la tension que Wright insufflera ensuite, et avec ingéniosité, dans nombre de ses scènes : l'entrevue avec le chauffeur de taxi. Par un montage soigné, des plans qui se resserrent et étriquent petit à petit la protagoniste dans sa névrose, le réalisateur parvint à rendre compte d'une angoisse bien plus commune et quotidienne.
Après bien sûr, il est difficile de développer sur Last Night In Soho sans en dévoiler ses (nombreuses) surprises. En dehors de la mise en scène, qui est un gage de qualité chez Wright, le scénario est très bien écrit, en particulier dans ses retournements de situations.
Si ces derniers n'ont rien d'un twist spécialement mémorable, ils sont en revanche suffisamment bien amenés et écrits pour permettre un second degré de lecture au film : on se plairait à le revoir une seconde fois pour remarquer toutes les subtilités préfigurées dans les dialogues !
Le film énonce également un raisonnement intelligent et pertinent sur la nostalgie, et en particulier sur les jeunes personnes vouant un culte à une époque où ils n'ont vérité jamais vécus. Des propos qui font un bien fou de nos jours, dans une période où beaucoup de monde ont tendance à fantasmer les décennies passées, y trouvant un réconfort illusoire (Stranger Things etc.)
Côté acteur, aucune fausse note pour ainsi dire.
Ils sont tous crédibles, en particulier les plus jeunes. Et quand on sait à quel point il est possible de se planter en écrivant des conversations entre les étudiants, chapeau.
Thomasin Mackenzie vole la vedette à Anya Taylor-Joy par un jeu crédible et un personnage très empathique, là où cette dernière se repose encore un peu trop sur son archétype de muse aux grands yeux de biche.
ATTENTION TOUTEFOIS
Le personnage d'Anya-Taylor Joy apporte justement une variation sur ce même archétype, et ce dernier est loin, mais alors très loin d'être une jolie plante verte. On espère simplement qu'à l'avenir, l'actrice s'essaiera à des rôles plus "complets" ou physiques, afin de proposer une autre palette à son jeu. L'attente pour Furiosa est donc énorme.
Diana Rigg est, comme à son habitude, tout à fait remarquable, et les personnages masculins ne sont pas en reste. Micheal Ajao qui campe un môme au rôle pas révolutionnaire, mais cependant très attachant, Matt Smith et sa mâchoire de boxeur incarnent un personnage très, très ambivalent et, à bien des égards, haïssable. On pense également à Terence Stamp, en vieil homme inquiétant et fantomatique, dont la véritable nature cache beaucoup de surprises.
D'autre part, si le film n'est pas glaçant ni foncièrement terrifiant (tout est relatif, mais je pense qu'il faut être très impressionnable pour le considérer comme tel), Edgar Wright semble déployer par moment un joli panorama du cinéma d'horreur.
On retrouve tantôt du Argento dans ses couleurs et sa manière d'appuyer parfois sur le sanguinolant, puis ensuite des présences indéchiffrables et inquiétantes qui ne sont pas sans rappeler celles aperçues dans L'Echelle de Jacob. Et enfin, sans trop en dire afin d'en garder toute la saveur, le climax du film semble très emprunt d'une certaine veine hitchcockienne, mais nous n'en dirons pas plus...
Last Night In Soho est un excellent film fantastique.
Hybride, truculent, surprenant, osé et très pertinent dans ses messages.
Edgar Wright donne l'impression de devenir, à mesure qu'il prend de l'âge, un touche-à-tout génial : parvenant à traiter des thématiques et des esthétiques très diverses avec le même entrain bouillonnant.