Et pourtant, tout s’annonçait sous les meilleurs auspices.


• Un excellent roman, tiré de l’œuvre du plus grand auteur scandinave de roman noir, mieux, du plus grand auteur de roman noir tout court ; (sans doute pas le meilleur roman de Jo Nesbo : on ne trouve pas forcément dans le Bonhomme de neige les préoccupations sociales, les réflexions politiques souvent passionnantes ouvertes dans d’autres livres ; le Bonhomme de neige est un pur thriller, avec une angoisse savamment distillée, des accélérations irrésistibles, une construction très élaborée, des twists renversants …)
• La première adaptation de la saga Harry Hole, héros culte, pour le grand écran ;( une première adaptation, très réussie, d’un roman de Jo Nesbo, Headhunters, avait déjà été portée à l’écran, mais sans Harry Hole.)
• Précisément un comédien, Michael Fassbender, par son physique, par son mode de jeu, idéal pour incarner Harry Hole
• Un réalisateur plus que réputé, T. Alfredson, l’auteur de Morse et de la Taupe, que certains n’hésitaient pas à comparer à … Stanley Kubrick …
• Et avant qu’on ne fasse appel à T. Alfredson, c’est Martin Scorsese en personne qui avait prévu d’assurer la réalisation du film avant de se contenter d’en assurer la production – preuve du grand intérêt du maître pour le roman de Nesbo.
• Un casting, sinon rassurant, du moins intrigant, avec autour de M. Fassbender, toute une cohorte de comédiens, Rebecca Ferguson, Charlotte Gainsbourg, Val Kilmer, J. K. Simmons, Toby Jones …
• Et une très longue attente, pour un film dix fois annoncé, reporté, annulé, modifié, reporté, annoncé …




Dès le prologue tout s’effondre. Dans le roman, ce flash-back initial, très en amont du récit, était, comme souvent chez Nesbo essentiel à la compréhension du roman et des motivations, très sombres et très souterraines du serial killer futur. Ici, non seulement le récit est assez stupidement modifié (avec par exemple l’introduction d’un questionnaire, suivi de coups en cas de mauvaises réponses, dont la finalité est incompréhensible) mais surtout il s’achève sur un contresens absolu – qui va totalement à l’encontre du développement ultérieur programmé pour le tueur. Comme si les scénaristes n’avaient rien compris au livre …


L’adaptation est effectivement catastrophique. Les scénaristes tentent de procéder « par équivalence », à la façon dont travaillaient autrefois, par exemple, Jean Aurenche et Pierre Bost. Quand une scène originale semble trop difficile à transcrire directement, on la supprime ou on tente de la remplacer par une scène différente et « équivalente » ; dans les faits, les scénaristes maintiennent effectivement (ou quasiment) l’ensemble des personnages, mais ils élaguent, ils coupent, ils tronçonnent dans leurs partitions respectives, au point que la plupart n’ont quasiment plus aucune utilité (J. K. Simmons, Toby Jones, voire Val Kilmer) et que les relations entre les autres, souvent initialement très complexes, ou très subtiles, sont désormais quasiment escamotées. Par ailleurs les scénaristes transforment, quasiment toutes les scènes (!!!), sans doute avec un double souhait : augmenter la place de l’action pure (avec toute la simplification que cela suppose) et surtout, par paresse, éliminer toute scène un tant soit peu complexe. Ainsi la double scène finale, et son pandémonium de violence qui achève le roman en apothéose, est-elle ici réduite au plus basique (et au plus bref) des affrontements …


On n’avait sans doute pas prévu que le roman serait aussi résistant par rapport aux essais d’adaptation (et on peut supposer que producteurs et auteurs s’y reprendront à deux fois avant d’adapter un nouvel opus de la saga Harry Hole). Le Bonhomme de neige est certes un pur thriller – sans grandes perspectives métaphysiques ou sociales. Cela dit il comporte aussi un amont – le passé d’Harry Hole, ses relations avec ses proches, qui apparaissent ici sans vraiment apparaître, dans des séquences initiales qui ne débouchent sur rien (Harry Hole clochardisant avant de retrouver quasi immédiatement sa normalité ...), reléguées dans un implicite à la fois présent et incompréhensible pour le spectateur non informé.


Plus difficile encore – Nesbo, comme toujours, joue avec l’espace et le temps – il multiplie les lieux (sans sortir toutefois des frontières de la Norvège) et surtout les époques, plonge dans un passé, parfois très éloigné, modifie le cadre spatial et temporel, parfois plusieurs fois à l’intérieur d’un même chapitre. Et les scénaristes, manifestement perdus, ne trouvent alors rien d’autre à faire que d’enchaîner les séquences, flash-backs compris, dans un ordre totalement aléatoire.


Alors le spectateur ne comprend plus rien. Et le montage est effectivement une catastrophe, pris, repris, modifié encore in extremis par la chef-monteuse de Scorsese Thelma Schoonmaker, venue à la rescousse, sans aucun souci de liaisons, d’échos, de correspondances. Pire, de l’aveu même de Tomas Alfredson, il semble même que des scènes aient été oubliées (voire jamais tournées !) et que tout avait en réalité été fait beaucoup trop vite (Mais le réalisateur n’ose pas employer le terme de « bâclé »).


Parce qu’en réalité le montage s’égare aussi dans deux directions totalement contradictoires :
- La volonté de privilégier les seules scènes d’action, en sacrifiant toute densité, toute profondeur, tout temps de préparation d’attente, d’angoisse …
- Et en même temps en passant beaucoup de temps, à travers surtout de longs parcours en voiture dans des paysages de montagnes (pas spécialement beaux d’ailleurs), sans rien révéler vraiment de la Norvège (alors que c’est un des points forts des œuvres de Nesbo), sans lier à aucun moment ces images à l’action – pour obtenir au final un résultat particulièrement mou, atone, sans rythme …


Alors les comédiens ne comprennent plus rien, à aucun moment (Fassbender en tête) n’entrent vraiment dans leur rôle, encore moins dans les relations, pourtant essentielles, avec les autres rôles.


Alors, on le ferait à moins, tout le monde décroche.


Ce bonhomme de neige-là, très mauvais conte à peine macabre de Noël, sera fondu avant même d’avoir été achevé ; écroulé avant d’être érigé.


A oublier d’urgence donc. Et surtout, prière de ne pas faire tomber la responsabilité du désastre sur un bouc-émissaire totalement innocent et talentueux : on a déjà, rapidement, évoqué une première adaptation très réussie de l’œuvre de Nesbo, Headhunters (Morten Tyldum, 2011) – mais l’adaptation était là signée par … Jo Nesbo.


Le mieux donc, le plus tranquillement, est de prendre un bon bouquin de la saga Harry Hole (le mieux serait de l’attaquer dans l’ordre chronologique), un verre de Jim Beam à la main, juste histoire de repartir sur une bonne impression.

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le 1 déc. 2017

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