C'est stupéfiant, extraordinairement jubilatoire, cette faculté que Brian De Palma a d'accentuer sans cesse les moindres parcelles de son cinéma, tout en restant dans la justesse, profonde drôlerie, comique de personnages, de plans, visages écrasés au travers de l'image, plans immensément incongrus, absurdes, jouissifs jusqu'à la moelle.
C'est effarant, d'une intelligibilité monstre, profonde, cette capacité à assumer pleinement cet humour grandiloquent, ce grotesque, absurdité, grimaces, situations, qui peuvent parfois paraître "clichées", mais qui sont assumées telles quelles, en prenant en compte la singularité du visage dans son entièreté.


Il est étonnant d'assister ça et là à quelque chose qui fonctionne incroyablement bien et qui ne cesse de fléchir, de vriller, de vivre. Parce que Le bûcher des vanités à la pêche. Une pêche d'enfer. Une histoire qui s'étire sur la longueur oui, parfois un peu molle, qui tourne parfois un peu en rond. Mais les personnages, le rythme des plans, des images, corps qui trébuchent, ne cessent de provoquer le rire, l'intelligence profonde d'une drôlerie folle d'absurdité, assumée avec une lucidité rare, patte grandiose de De Palma.


Parce qu'il suffit de voir cette phrase du genre "Faites attention, derrière il y a un truc tout collant sur la banquette arrière" (le contexte étant : des mecs dans une voiture), mots qui jaillissent, truc tout con qui sort comme ça sans qu'on est rien demandé à personne, d'une absurdité monstre, pour que tout parte en vrille et qu'on éclate de rire.
Parce qu'à aucun moment tout cela ne provoque des gros bides qui tombent à l'eau (comme on pourrait pourtant le croire ici, à l'écrit) : cette simplicité d'un comique inattendu, plein d'une justesse, spontanéité qui coordonne.


C'est que De Palma est grand, De Palma est beau, c'est qu'il a tout compris à la vie. Il est rare ainsi, ne pas confondre vulgarité et humour, mais de réussir à mêler étroitement justesse et absurde, gros sabots et finesse qui chante dans nos yeux dévoreurs d'images. On en redemande encore.
Paradoxe comme seul sait le faire Brian De Palma, de cette unique façon indescriptible, qui mêle désuétude d'un certain classicisme, avec l'extrapolation du moindre élément. On pourrait alors croire que le cinéma de De Palma fait "cheap". Mais non. Il utilise ainsi une certaine "parodie" (si on peut appeler ça de la parodie) pour extrapoler tout, faisant du Bûcher des vanités une immense blague au scénario qui s'étire néanmoins quelque peu en longueur, sans que ce soit voulu.


Parce qu'il suffit de voir les nombreuses mimiques, les yeux écarquillés. Le sourire niait de Tom Hanks, la bouille de Bruce Willis, les expressions parfois trop exagérées, le tout amplement accentué : plans à la Scorsese foudroyants d'ingéniosité, de loufoquerie, d'humour. Visages aplatis en trop gros plans, provoquant l'hilarité profonde qui sort de part la gorge.
Il suffit de prendre en pleine face le moindre rien qui se retrouve emmêlé dans un tourbillon d'humour, extrapolation du moindre tout, rien qui s'envole, jusqu'à la musique qui ne cesse d'appuyer et d'accentuer là où ça marche, où tout fonctionne à merveille, accentuation de la moindre parcelle d'un film, comme l'utilisation de cette voix off qui vrille, à la manière d'un Scorsese (pfiou, qu'est-ce que j'aime les voix offs !).


Parce qu'on se rend compte que De Palma est un réalisateur qu'on est pas près d'oublier. Que déjà, avec Blow Out, avec Scarface, avec Obsession, avec Phantom of the Paradise (qu'il nous faudrait peut-être revoir avec cette conscience d'un tout qui n'est qu'extrapolation, grandiloquence, humour, pour ne pas passer à côté comme je l'ai fait), il nous avait déjà envahi de cette curieuse patte, étrange, atypique, "surjouée".
Parce que finalement, le cinéma de Brian De Palma, c'est entièrement ça : cette faculté incroyable et totalement rare qu'il a de mettre les pieds dans le plat, de marcher sur la pellicule de film avec ces gros sabots, capacité foudroyante d'assumer pleinement sa bouillabaisse, son espèce de cuisine bricolée, qui peut certainement en laisser plus d'un au passage.


Mais c'est jouissif, infiniment jouissif. D'observer Tom Hanks et Bruce Willis qui se fendent la poire, qui galèrent avec leur mimiques drôles et censées, ces personnages qui en font trop, sans surjouer le moindre du monde, mais qui vivent plutôt en décalage, exubérances dans leur façons de se mouvoir, d'être au monde, de rire trop fort, de pleurer trop bruyamment. Ainsi voilà : Le bûcher des vanités n'est fait que de décalage, d'extrapolation, d'exubérance dans sa façon qu'il a d'être simplement drôle, entièrement jouissif. Et on ne demande rien de plus chez De Palma.


Même si parfois peut-être, à voir trop "gros", ça frôle la caricature, car c'est ce que veut sûrement le réalisateur : lorsqu'une gentille petite musique au piano apparaît à de rares endroits, manière de provoquer l'émotion facile chez le spectateur, ça ressemble à du cinéma familial pour enfant, vous savez ces films que l'on regardait quand on était môme avec Robin Williams (immense acteur par conséquent).

Lunette
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le 26 sept. 2015

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