90 ans et un 38ème film ! (Enfin, je crois).
Et pour au moins la 5ème fois, Clint Eastwood se demande : un héros, qu'est-ce que c'est ?
Et surtout un héros américain ...
Pour la 5ème fois, mais sous un nouvel angle, Eastwood interroge l'héroïsme individuel ordinaire à travers l'adaptation d'un fait divers : Richard Jewell (Paul Walter Hauser) a 33 ans au moment des Jeux d'Atlanta (on est en 1996) ; il est agent de sécurité, et ce boulot, il n'a pas l'intention de le faire à moitié, non, même s'il rêve de réintégrer la police, dont il a été viré. L'ordre et la défense, c'est sa vie ! Et justement ce soir-là, à la suite d'une altercation avec un groupe de jeunes, il découvre un sac à dos sous un banc et sauve des vies.
C'est par le petit écran sacré que sa chère maman apprend son érection héroïque fulgurante ; c'est par le petit écran sacré qu'elle découvre que le héros d'un jour est presque aussitôt déboulonné car suspecté de terrorisme.
Richard Jewell devient l'ennemi de la nation et c'est la curée ! Si dans cette société du spectacle, les medias ont le pouvoir de faire et défaire un homme, il faut reconnaître que, dans la galerie des petits héros eastwoodiens, Richard Jewell est le candidat idéal, l'homme de la situation tant les apparences plaident contre lui.
Car Eastwood n'a pas choisi cette fois un héros évident : Richard Jewell est a priori le gars qui n'a rien pour lui, cible des moqueries, pas beau, pas fûté, obsédé par l'ordre, encore chez maman et pas foutu de garder un boulot, bref un cas ! Mais un cas intéressant pour le réalisateur.
La grande réussite de ce dernier film, c'est encore une fois la manière patiente et efficace avec laquelle Eastwood construit son personnage, jouant de l'ambiguïté de ce dernier, alors même que le spectateur est déjà convaincu de son innocence.
Ainsi, Eastwood tartine d'abord bien son homme jusqu'à l'engluer dans l'image volontiers monstrueuse du parfait citoyen américain moyen, armé jusqu'aux dents et jusque sous son lit, adepte de l'ultra sécuritaire qui n'hésite pas à redresser de son propre chef ceux qui ne filent pas droit ; bref, la loi toujours prise à la lettre, le doigt sur la couture. Mais l'idée est que la loi américaine finit par rejeter ses citoyens trop zélés ou trop intègres. C'est là qu'Eastwood travaille, dans le même temps, à nous rendre son personnage attachant : Richard Jewell touche par sa candeur, par sa générosité vulnérable, par sa malice aussi. Eastwood exploite en les neutralisant les clichés et les réactions discriminantes (grossophobie, homophobie...) au fil de son récit qui s'affirme progressivement comme un récit d'apprentissage : l'aspirant justicier candide, après avoir bien été échaudé par les instances autoritaires du pays (parce que le bougre tend la joue et retourne volontiers se faire battre !), finit par retenir la leçon : son auto-plaidoyer final est un beau moment d'héroïsme sobre. Tout comme d'ailleurs la supplique de la brave mère dont on a violé la vie privée en mettant sous scellé ses tupperware et ses culottes. Magnifique Kathy Bates !
Ce récit donne aussi une belle leçon d'amitié, celle qui lie progressivement Richard Jewell et son avocat, un déclassé du barreau, interprété par un Sam Rockwell décidément formidable ! L'amitié, ce lien humain fondé sur la confiance et le respect mutuel, vient à bout des systèmes et du déclassement social.
On aura pu trouver la double charge contre le FBI et les medias, enchevillés ici contre Jewell, très caricaturale. Olivia Wade incarne le stéréotype de la journaliste fouineuse et opportuniste, prête à tout pour faire le scoop. Presse des égoûts et coucheries. Le nom de la journaliste n'a d'ailleurs pas été modifié (ups !). Mais il me semble que ce qui intéressait comme toujours Eastwood, c'était son personnage, un individu seul et faible broyé par ceux qui détiennnent le pouvoir de fabriquer d'un claquement de doigts des héros ou des pestiférés. Eastwood a cette insolence du grand âge qui l'autorise à charger lourdement ce pays dont il n'aime pas moins le drapeau.

Sabine_Kotzu
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le 12 avr. 2020

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Sabine_Kotzu

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