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Certains films se contentent d'être regardés, et puis il y a ceux qui te regardent en retour, s’invitent chez toi sans sonner, qui ouvrent ton frigo, s’installent dans ton canapé, qui fouillent dans tes pensées et commencent à gribouiller sur les murs de ton esprit.


Le Cercle des poètes disparus ne s’est pas contenté de passer. Il a déplacé les meubles dans mon cœur, bousculé l’ordre intérieur sans prévenir, et laissé des marques qui ne se sont jamais vraiment effacées.


Monsieur Casanova n’était pas un professeur comme les autres. Il parlait doucement, mais ses mots prenaient leur temps pour rester. Il avait cette manière de regarder les élèves comme s’il croyait déjà en eux, même quand eux n’y croyaient pas encore. Un jour, durant la dernière année de collège, il a fait entrer Le Cercle des poètes disparus dans la classe. Pas comme un simple film, mais comme un souvenir qu’il avait envie de partager. Ce n’était pas au programme. C’était mieux que ça. C’était un moment suspendu. Un détour qui, sans prévenir, m’a remis face à moi-même.


Dès les premières images, j’ai été happé. Cette académie de Welton, ses boiseries sombres, son uniforme strict, ses couloirs silencieux chargés de regards figés… Ce n’était pas mon école, mais il y avait là quelque chose de familier. Une sensation, une tension : celle de devoir sans cesse être à la hauteur, sans jamais vraiment savoir de quoi.


Mon père n’était pas un homme brutal. Il n’a jamais levé la main sur moi. Mais il pensait pertinemment savoir ce qui était bon pour moi, ce qui était sérieux, ce qui comptait. Il avait un projet, une direction. Et moi, dans tout ça, je m'écrasais de plus en plus.


Quand j’ai vu Neil Perry sur l’écran, ce garçon enthousiaste, lumineux, qui découvre le théâtre comme une chambre secrète en lui, j’ai senti un vertige familier. Sa joie n’était pas la mienne, mais sa peur, si. Ce mélange d’exaltation et de panique quand on réalise qu’on veut quelque chose, profondément, mais qu’on ne saura pas le défendre face à ceux qu’on aime.


Il découvre le théâtre comme une révélation intime. Il s’y jette avec une intensité fragile, comme on s’accroche à un fil de soi. Et lorsqu’il joue Puck, tout souriant… Il murmure à Keating : "I was good. I was really good." Et c’est une des plus belles choses qu’on puisse s’avouer. Une vérité chuchotée, une fierté arrachée. Hélas, ce sera sa dernière victoire. 


J’ai vu dans son regard le même genre de naufrage silencieux. Son père, raide, bienveillant à sa manière, mais fermé. Incapable d’écouter ce que son fils tentait de défendre. Ou peut-être refusant de l’entendre, parce que ça déviait trop du plan. Il ne voulait pas le blesser.


Il voulait qu’il réussisse sa vie, il finira par se l’ôter.


Chez moi, ce n’était pas aussi dramatique. Mais l’étouffement prenait une autre forme. Mon père disait « c’est pour ton bien » avec sincérité. Et moi, je m’éloignais. Je souriais moins. Je parlais peu. Je faisais ce qu’on attendait, en espérant qu’à force de conformité, j’obtiendrais de la liberté. C’était une espèce de marché invisible. 


Alors quand Neil meurt, dans le silence d’une scène pudique, sans cris, sans drame appuyé, juste une cheminée, un corps hors champ, une porte qui se ferme, j’ai pleuré. Pas seulement pour lui, mais pour moi aussi. Pour ce que j’avais tu. Pour ce que j’aurais aimé oser.


Et pourtant, le film n’est pas noir. Il ne cherche pas à désespérer. Il offre des issues. Des gestes simples. Comme ce professeur, John Keating, qui ne donne pas de leçons. Il propose des regards. Il sort les élèves de la salle, les invite à écouter les morts, à entendre les mots, à se lever, littéralement, pour changer de point de vue. Ce n’est pas un gourou. C’est un passeur. Il n’impose rien, il révèle. Il dit : « Carpe Diem », mais il ne hurle pas. Il murmure assez fort pour que ça reste dans la poitrine.


Et puis il y a Todd Anderson. Le garçon dont on oublie presque la présence, parce qu’elle ne cherche jamais à s’imposer. Il arrive dans l’ombre d’un frère, ancien élève brillant de l’établissement, figure exemplaire qu’on lui tend comme un modèle, sans lui demander s’il a envie de le suivre. Todd baisse les yeux, rentre les épaules, répond à peine. Il semble habité par un silence plus vaste que lui.


Mais ce silence, le film ne le ridiculise jamais. Il le traite avec une attention rare, presque précieuse. Et puis vient cette scène. Celle où Keating le pousse à improviser un poème. Todd s’effondre presque, dit qu’il n’a rien, qu’il ne peut pas. Il est au bord de l’effacement. Et c’est là que quelque chose se retourne. Keating insiste, avec douceur, mais aussi avec fermeté. Il ne veut pas le forcer, mais il refuse de le laisser s’enfuir.


Alors Todd parle. Les mots sortent. Hésitants. Inattendus. D’abord absurdes, presque murmurés, puis étrangement justes. Ce n’est pas seulement une improvisation. C’est une naissance. Une voix qu’on n’avait jamais entendue, et qui tout à coup existe, tremble, vibre. Il n’est plus l’ombre de son frère. Il est là. Il prend la place. Une preuve que la parole, même maladroite, peut être une victoire. 


Quand il monte sur son bureau à la fin du film, et qu’il dit « Oh Capitaine, mon Capitaine », ce n’est pas un geste héroïque. C’est un geste de fidélité. Une manière de dire merci. Merci d’avoir vu quelque chose en moi, quand moi-même je ne voyais rien. 


Et c’est peut-être ce que Monsieur Casanova, en tant que figure paternelle de rechange, a fait pour moi ce jour-là. Sans le savoir, en montrant ce film, il m’a tendu la main. Pas pour m’arracher à quoi que ce soit, mais pour me dire que c’était possible. D’exister autrement, de choisir une autre manière de marcher. 


Le Cercle des poètes disparus n’est pas un simple film. C’est un lieu refuge, un petit cocon. Un souffle qu’on peut réinhaler quand le monde devient trop étouffant. Une lumière modeste, mais tenace. Celle d’un professeur qui pose ses mains sur vos épaules et vous dit doucement : regarde, tu es déjà là.


Oui, il est naïf parfois. Mais c’est une naïveté précieuse, presque révolutionnaire dans un monde qui a trop appris à se méfier de l’enthousiasme.


Ce film ne m’a pas donné que des solutions. Il m’a aussi donné des questions. Et la permission de les garder. Il m’a appris qu’il y a des silences pleins de peur, mais aussi des silences pleins de poésie. Qu’on peut rater ses mots, mais réussir à dire. Et que parfois, résister, c’est juste continuer à croire que sa propre voix vaut d’être entendue.

maxoupicchu
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le 24 avr. 2025

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