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I just... thought there would be more

Il y a des films qui cherchent à éblouir, à surprendre, à bousculer. Et puis il y a Boyhood, qui ne cherche rien de tout cela. Richard Linklater n’a pas voulu faire un coup de force, juste un film fidèle à ce que la vie peut offrir : des éclats, des creux, du banal et du tendre. Tourné sur douze ans avec les mêmes acteurs, Boyhood n’impressionne pas par sa performance technique, mais par la justesse et la douceur avec lesquelles il saisit le temps qui passe.

On suit Mason, de l’enfance à l’entrée dans l’âge adulte, sans rupture, sans artifices. Le film ne cherche pas à créer de climax, ni à forcer les émotions. C’est une narration de l’évidence, où chaque scène agit comme un simple battement du quotidien. Il y a des étapes : des déménagements, des séparations, des retrouvailles, mais rien n’est souligné à l’excès. Et c’est là que réside sa force. On n’assiste pas à un "grand moment de cinéma", on partage juste le fil d’une vie.

Et puis il y a son père, joué par Ethan Hawke. Ce père un peu à côté de la plaque au début, qui débarque dans leur vie le week-end, guitare sous le bras, fantaisiste, idées plein la bouche. On pourrait croire qu’il est juste là pour faire le cool, pour offrir une parenthèse. Et pourtant, au fil des années, c’est lui qui change le plus. On le voit chercher à construire quelque chose avec ses enfants, parfois maladroitement, mais à chaque fois sincèrement. Il devient peu à peu plus posé, plus stable, sans perdre ce regard vif sur le monde, cette envie de transmission, pas à travers de grandes leçons, mais par des discussions en voiture, des disques partagés, des idées lancées comme des graines. Hawke le joue avec une tendresse et une retenue qui touchent au cœur. Ce film et cette performance d’Ethan Hawke, viennent confirmer une fois de plus qu’il est bel et bien mon acteur préféré.

Et autour de Mason, il y a bien sûr sa mère, jouée par Patricia Arquette, bouleversante de résilience et de lucidité. Elle porte beaucoup, souvent seule, et fait ce qu’elle peut dans une société qui ne lui laisse pas toujours le choix. Les figures masculines qui gravitent autour d’elle sont souvent toxiques, et elle doit composer avec cette violence en sourdine, avec la précarité aussi. Sa trajectoire dit beaucoup sans avoir besoin de grands discours : le temps passe, les enfants grandissent, mais elle, elle s’efface un peu, absorbée par les responsabilités. Il y a une scène magnifique où elle se rend compte, presque avec amertume, que les "grands moments" de la vie sont passés sans qu’elle ait eu le temps de les célébrer : « I just... thought there would be more. » Cette phrase résonne comme un écho douloureux à toutes les attentes déçues de la vie adulte, à cette illusion qu’on se fait parfois d’un accomplissement, d’un moment d’apothéose qui, en réalité, n’arrive jamais vraiment. Et pourtant, le film ne sombre jamais dans le désespoir. Il reste traversé par une forme de lumière, de confiance, comme si chaque instant, aussi banal soit-il, contenait en lui-même une promesse.

Ce qui est bouleversant dans ce film, ce n’est pas l’histoire, elle tient presque en une ligne. C’est la manière dont Linklater filme les choses sans insister, sans souligner. Les ellipses sont douces, les transitions invisibles. On ne nous prend jamais par la main pour nous dire “regarde comme il a grandi” : on le vit avec eux. Et on réalise, comme Mason, que ce sont les détails, les conversations volantes, les moments sans importance apparente, qui finissent par définir une existence.

On pourrait facilement pointer certaines facilités scénaristiques, des archétypes parfois trop évidents (le beau-père alcoolique, l’ado qui trouve refuge dans l’art, etc.). Mais très vite, ces éléments s’effacent derrière la sincérité du film. Parce qu’ici, même les clichés respirent, portés par une mise en scène sans esbroufe, un montage fluide, une bande-son qui épouse les époques sans insistance. Le film devient alors une capsule temporelle, à la fois personnelle et collective : on y retrouve les marques d’une époque, les technologies qui évoluent, les coiffures qui changent, les chansons qui traversent les années, autant de détails qui agissent comme des madeleines de Proust pour toute une génération.

Au final, Boyhood n’est pas seulement le récit d’un enfant qui devient adulte. C’est aussi, en creux, celui d’un pays, d’une époque, d’un certain rapport à la mémoire. C’est un film sur la transmission, sur l’acceptation, sur le fait de grandir ensemble, spectateurs, acteurs, personnages, et de laisser le temps nous façonner. Et lorsque Mason, dans les dernières minutes du film, s’ouvre enfin à la possibilité d’aimer, on comprend que Boyhood n’a jamais été une simple chronique familiale : c’est un film sur la sensation d’exister.

Avec une tendresse infinie et une humilité rare, Linklater nous rappelle que l’essentiel est souvent dans les détails. Et que, parfois, les films les plus bouleversants sont ceux où il « ne se passe rien », sinon la vie elle-même.

maxoupicchu
9
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le 16 avr. 2025

Critique lue 32 fois

max

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