Les réalisateurs japonais aiment à adapter des ouvrages. La Femme des Sables, La Ballade de Narayama, Les Contes de la Lune vague après la pluie, Scintillement dans l'ombre, et déjà Rashōmon pour Kurosawa, entre autres adaptations, le cinéaste étant un adepte de la littérature russe et occidentale.
Le Japon ne manque pas non plus de personnages étonnants et de légendes, pourtant, avec une relecture de MacBeth, Kurosawa a trouvé de quoi alimenter son talent. La folie des hommes et ses rêves de grandeur, pour l'universalité du propos, se dote en filigrane, de lutte de pouvoir et de guerre de territoire du Japon féodal. Mais faire régner l'ordre contre les diverses insurrections se délite ici, de l'intérieur. Car il n'y aura pas de révolutions face à la dictature et la misère, le seigneur est un homme juste et qui par sa bonté envers ses hommes combatifs, devra en payer le prix fort. Pas de Seppuku non plus. La scène finale où Washizu, destitué par ses hommes et criblé de flèches, dans un vacarme assourdissant, déjà saisi par la folie, est d'une grande ironie, bien éloignée des actions spectaculaires de samouraïs et de leur code d'honneur, où l'idée d'appartenance au clan aura été balayé par l'ambition.


Nous suivons deux hommes rejoignant leur seigneur, qui, après une victoire sur l'ennemi, se perdent dans la forêt. D'allers-retours incessants, des plus ironiques encore dans le déroulement, de chevaux frappant le sol, de hennissements furieux et inquiets, de doutes et de galops sur place, ce sont aussi les sons puissants qui nous transportent et la pluie fracassante, mur invisible qui les séparent du monde terrestre, qui posent définitivement son ambiance fantasmatique où le monde réel côtoie le monde imaginaire.

La rencontre avec l'esprit de la forêt, comme métaphore de la projection des désirs de l'homme et de sa funeste destinée, signe la fin de la relation bon enfant entre les deux amis. L'amitié et l'humanisme ne tiendront pas face à cette volonté de l'esprit (?). La perception confuse que naîtra de cette vision, déroule une atmosphère puissante de noirceur et appuie le désarroi grandissant de Washizu.


Kurosawa transpose la nature de l'homme selon Shakespeare qui lui-même s'est inspiré des Chroniques Holinshed. Le cinéma japonais aime raconter sa propre histoire. Le réalisateur reprend la trame dramatique anglaise, en détourne le scénario pour mieux la japoniser et nous rend une intrigue virevoltante, des plus réjouissante et jubilatoire. Le suspense est de mise et les acteurs s'en donnent à cœur joie. Toshirō Mifune saura encore déployer son excessivité, entre rires tonitruants et expressions sauvages. Fier dans son armure et à l'allure décidée, même si parfois plus hésitante...Tout l'art de jidai-geki. pour de grandes envolées théâtrales.


Avec le personnage féminin, Asaji (Isuzu Yamada), le réalisateur adapte finalement de façon percutante ce drame, en lui offrant une image complexe. Entre douceur et délicatesse, image récurrente nippone, elle se révèle forte et implacable, usant de multiples circonvolutions à manipuler Washizu. L'image est d'autant plus frappante qu'elle évolue à la limite du muet, mettant en valeur ses kimonos et ses coiffures, toute à sa séduction et à sa soumission. Le personnage féminin dans ce cinéma étant souvent, d'ailleurs, le cœur du conflit.
Washizu, personnage grandiloquent se heurte à la passivité morbide de son épouse, pour le moins étrange, tout autant pragmatique que hors du temps, passant telle une ombre dans les couloirs, chuchotement de robe et visage tel un masque inquiétant, s'immisçant dans l'esprit de son mari pour mieux le perdre, épouse en miroir de l'ombre fantomatique de l'esprit de la forêt, mais ses actes criminels finiront de la faire sombrer à son tour.


Les costumes, l'épure des décors, et la géométrie des plans, pour une mise en scène esthétique, l'alternance entre gros plans et plans d'ensemble, scènes nerveuses à celles plus posées, procurent à l'ensemble le rythme parfait. La perte de repères et les décors propres à nous renvoyer aux états-d'âme du personnage, avec une forêt qui semble vivante, tout autant rempart contre l'ennemi, que se mettant en marche pour le juste retour des choses, un château fourmillant de vie, peu à peu déserté, le bruit de l'activité laissant place au silence pesant de la future défaite, la nature participe, entre ombre et brouillard - Kurosawa maître des éléments – à cette intrigue surnaturelle, et où la prophétie se réalisera malgré les efforts de Washizu.


Dès l'introduction et son chant funèbre, nous racontant les tristes destinées des hommes qui se sont perdus dans les combats inutiles, à nous de profiter avec bonheur de ce grand spectacle.


Le château de l'araignée est une franche réussite.

limma
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le 29 déc. 2018

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limma

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