Partagé entre d'une part, le plaisir de revoir Bébel dans un rôle un tantinet sérieux, dans une intrigue poisseuse sur le cynisme de la bourgeoisie et sur cette relation crapoteuse entre politique et pognon, et puis d'autre part, cet arrière-goût d'inabouti qui colle au film. Et si loin qu'il m'en souvienne, j'ai toujours ressenti cette gêne en voyant ce film. La sensation que quelque chose ne tourne pas rond.

Il y a un truc en trop dans ce film et il reste difficile à le définir. Je m'en vais essayer tout de même. Peut-être qu'il s'agit d'un trait un peu trop grossier dans la manière de dessiner ce portrait de la France rance? Les hommes d'affaire véreux un peu trop véreux? Les hommes politiques un peu trop pourris? Les bourgeois un peu trop déconnectés des réalités du peuple?

Du coup, certaines situations sont tellement grossies jusqu'à la caricature qu'elles n'apparaissent pas toujours très crédibles, trop stéréotypées. La violence de la campagne électorale est juste irréelle. Autre summum du n'importe quoi, le procès de pacotille. Y aurait-il possibilité de bâcler autant une enquête policière pour qu'au procès on s'appuie aussi clairement sur du vent? Scénario du pauvre? Mises bout à bout toutes ces excroissances dans l'écriture épuisent un peu le spectateur attentif. Car il faut nécessairement faire un gros effort pour accepter cette réalisme douteux, comme si le film était une métaphore, une fable tout entière destinée à édifier les foules, pleine de symboles et de caricatures pour bien montrer que le monde est pourri.

Dans les dialogues, on se demande si Michel Audiard n'a pas délégué ou pris le scénario par dessus la jambe : les bons mots sont rares, les répliques même parfois se révèlent très médiocres. L'humour qui est censé parsemer certains dialogues est très bas de plafond, sans aucune poésie, ni dynamisme , encore moins ne donne le moindre mordant aux personnages. Ça ne percute pas. C'est passif, fatigué. Et finalement, j'en viens à me demander si la sobriété (relative tout de même, c'est quand même Bébel) de Jean-Paul Belmondo ne vient pas de là... de ce ton assoupi que le film adopte.

Pourtant, on se laisse avoir par quelques éléments qui vous attrapent. Je verrais notamment une certaine beauté dans la vision mélancolique qui émarge du film, sur les rapports sociaux, sur le temps qui passe, inexorable et sans pitié, sur cette effrayante société de consommation qui s'éternise à changer la ville, les gens... on voit bien comment la France bouge.

L'on sent à la fois de la crainte et une certaine forme de fascination qui se bousculent chez les auteurs du film. Ce n'est pas un trait anodin, il me semble qu'on le retrouve dans les films du Verneuil vieillissant ou signés par Michel Audiard aussi quelques fois. Ça peut ressembler par moments à une rengaine de vieux cons, excusez le terme, il n'est pas insultant dans mon esprit, je crois leur trouver des circonstances atténuantes. Le film en transpire à grosses gouttes de cette peur de la mort. Les vieux bonhommes sont déboussolés par cette modernité galopante qui les dépasse.

Henri Verneuil film très bien cette dégradation des choses du passé. Il la capte sur quelques plans architecturaux, sur quelques images, le lugubre, le décati, la feuille morte, la couleur défraîchie, les témoins d'une vie qui n'est plus. Dans le même temps, les vieilles personnes peuvent jeter un regard presque apaisé sur le passé, sur les disparitions avec une sorte de sagesse qui échappe au plus grand nombre, à ceux qui continuent de se noyer dans les à-côtés matérialistes, ou tout simplement dans les gestes du quotidien. C'est assez bien décrit malgré tout.

Le personnage joué par Belmondo apparaît tout compte fait désabusé par ses 7 années de prison. Ça aussi, ça m'a bien plu, cette structure en flash-back! Alors oui, bien évidemment, elle n'a strictement rien d'original, elle est même archi-classique pour un film qui se veut foutrement noir, mais cela fonctionne très bien. Cela appuie sans forcer cette fois les contrastes entre le passé et le présent, entre mensonges et vérités. En effet, cela dessine avec férocité les petites comme les grandes hypocrisies. Les travestissements ont eu le temps en 7 ans de s'élimer et parfois de disparaître complètement. Accompagnant le héros, on est les témoins du fossé entre l'être et le paraître. Ce n'est pas toujours montré avec une grande finesse, on en revient toujours à cet excès qui pèse sur le film, mais par moments, cela garde une forme correcte.

"Le corps de mon ennemi" est donc un film qui me laisse perplexe. J'aime à retrouver ce vieil album de souvenirs (la belle Marie-France Pisier, la non moins adorable Nicole Garcia ou le généreux Michel Beaune) et dans le même temps, je ne parviens pas à entrer complètement dans une histoire pleine d'exagérations.
Alligator
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le 25 nov. 2013

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