Voilà comment, d'un roman policier subtilement écrit, les américains parviennent à faire un thriller sans intelligence.
Si sur la forme l'on peut reconnaître l'habilité de certains plans (on passe ainsi de magnifiques plans larges d'Istanbul, la ville de départ, aux plans serrés de l'intérieur du fameux Orient Express, dont le faste est très bien recrée, ou en plongée au dessus des personnages, façon huis-clos ou cluedo), la plupart des autres (comme les plans-séquences) donnent au film un rythme effréné convenant bien plus à un thriller qu'à un policier.
En résulte ce qui me semble être le plus gros défaut du film : jamais le spectateur n'a le temps de se poser pour réfléchir à la résolution de l'affaire. On ne lui laisse pas l'occasion de rentrer dans l'intrigue et il finit par se détacher de ses enjeux pour n'être qu'un spectateur passif subissant les événements. Or donner l'illusion au spectateur qu'il puisse se mettre à la place de l'enquêteur et résoudre lui-même les mystères est l'une des composantes essentielles du style policier.
Au lieu de cela, les indices jaillissent littéralement au visage de Poirot (et donc du public) toutes les 30 secondes. Poirot, sur-agité, court d'un bout à l'autre du wagon, enchaînant les interrogatoires et les découvertes, éludant tout effort de créer un suspens. On finit par se perdre dans les noms, les liens de parentés et les alibis.
L'autre problème réside dans la construction du personnage de Poirot. Au delà de quelques séquences rapides montrant la grande confiance en son intellect, son obsession pour l'ordre et sa malice assez fidèle au personnage original, on s’aperçoit vite que le détective belge, dans sa version cinématographique, est avant tout un homme d'action, courant après les méchants, se battant et hurlant sur les suspects. Et ce ne sont pas les quelques interludes inutiles où Poirot parle au portrait de sa femme, qui épaissiront le personnage. Il n'y a ni empathie ni identification envers "le plus grand détective du monde".
D'autre part l'acteur incarnant Hercule Poirot, Kenneth Branagh, qui est également le réalisateur du film (bonjour l’ego), joue assez mal l'accent belge en version originale. Or le parti pris du réalisateur étant de filmer quasiment exclusivement ce protagoniste, attendez-vous à subir 2h de faux accent anglo-belge décrédibilisant par là même son personnage phare.
L'ensemble donne à l'intrigue un air foutraque assez mal monté, qui ne trouvera un ordre qu'à la fin, où Poirot, tout empreint d'émotion injustifiée, assemblera rapidement les pièces du puzzle.
Face à cette réadaptation américanisée et sans envergure, les fans puristes d'Hercule Poirot, tel que décrit dans les romans d'Agatha Christie, pourront donc passer leur chemin, tout comme ceux moins puristes qui apprécient le style policier et espéraient une adaptation à la fois rafraîchissante et intelligente. Pour les autres, ils y trouveront un thriller divertissant (pas le temps de s'ennuyer avec des questions trop complexes) au twist final satisfaisant (mais pas original si on a déjà lu le livre), à l'ambiance plus survitaminée qu'angoissante.