Cas d’école de la série B, Gun Crazy a fait tout ce qu’il fallait, et souvent à son corps défendant, pour accéder au statut de film culte.
Son échec commercial en fera un film maudit. Son rapport à la censure va insuffler dans cette histoire un érotisme troublant qui passera par l’obsession pour les armes à feu et la jouissance dans le crime, le tout sur le visage d’une comédienne aussi pin up que psychopathe. Son budget limité, enfin, va générer des trésors d’inventivité chez son metteur en scène.
Nerveuse, celle-ci débute par un expressionisme saisissant sur les visages, et l’écran brisé de la vitrine qui ouvre le film est une déclaration fracassante de liberté de ton. Le cœur du film, constitué de quelques braquages, est entièrement conduit par la fluidité des plans-séquences embarqués dans la voiture des amants criminels : dynamique, en temps réel, l’action est virtuose et particulièrement maline. Elle permet non seulement d’éviter de reconstituer tous les lieux, de réduire les jours de tournages, mais de respecter la censure qui interdisait qu’on donne le mode d’emploi exhaustif d’un hold-up.
Mais ces scènes d’actions sont indissociables de l’histoire d’amour qui les motive : on le voit clairement, la fusion des amants, sa passion sexuelle et active passe par ces décharges d’adrénaline. De ce point de vue, le personnage de Laurie, frémissante et jubilant l’arme à la main a quelque chose de délicieusement retors, qui plus est pour un film sorti en 1950. Le titre originel, « Deadly is the Female, est en ce sens tout un programme. John Dall, qui jouait dans La Corde deux ans plus tôt, est un peu moins convaincant dans un jeu plaintif un peu outré par moments. A mesure que le crime les réunit, le couple devient à la fois l’ennemi public et l’osmose intime.
[Spoilers]
Incapables de se séparer, même par stratégie, leur fusion aboutit à une soirée d’autant plus parfaite qu’elle est l’adieu au monde social : rollercoaster, danse, c’est le bal de promo avant la grande liquidation.
Dès lors, l’esthétique de resserre : les gros plans se généralisent, la fuite passe de la voiture à la course à pied, du bitume aux marais qui évoquent La Nuit du Chasseur par leur splendide lumière, et hautes herbes d’Onibaba, l’autre grand film des amants criminels. L’accès à la nature sauvage de l’enfance occasionnera un sursaut d’humanité chez l’homme, qui empêchera le déchainement sauvage de la femme : contrepoint à Roméo & Juliette, sorte de retour clivé vers Adam & Eve, cette relecture à la fois lyrique et perverse achève de faire de ce petit film un bijou à l’éclat bien noir.

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le 17 juin 2014

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Sergent_Pepper

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