Ancien premier assistant réalisateur de son compatriote Bela Tarr, le jeune Laszlo Nemes nous arrive avec un premier film bouleversant. Grand Prix du Jury à juste titre à Cannes, Le Fils de Saul nous embarque dans les Sonderkommando, unité de travail dans les camps d'extermination, souvent juives obligé à participer à la "Solution Finale" avant d'être exécuté par les Nazis. On peut s'attendre de toute évidence à un traitement souvent similaire dans les films sur la Seconde Guerre Mondiale comme Phoenix de Christian Petzold.


Ici, Laszlo Nemes nous embarque directement dans les camps d'extermination, dans ces troupes. On y voit toutes les pires horreurs. On suit un homme singulier embarqué bien malgré lui dans ces évènements. Saul est livré à lui-même comme tous les autres. On ne le place pas au dessus des autres, il est comme ses camarades. Tout cela est bien appuyé par la mise en scène où on suit le personnage de Saul déambulé dans les couloirs de ces chambres de la mort. On est embarqué dès le début du film, Saul nous sert de guide. Le film s'ouvre sur l'arrivée d'un convoi où les femmes, les enfants sont gazés. Les Sonderkommando sont chargés de récupérer les affaires personnelles puis arrive la scène où ils ferment les portes. On devine évidemment ce qui se passe derrière. Rien est montré, il n'y a aucune obscénité. On entend ces cris, ces hurlements, ces déchirements, des gens qui frappent contre les portes. On imagine ce qui se passe à l'intérieur (le pire étant quand on a étudié le sujet et qu'on connait les conditions de ces meurtres massifs).


Le film nous prend à la gorge tout de suite, on a un sentiment de malaise. On tremble, on a peur. On a le coeur qui bat à mille à l'heure, on ne se sent pas bien. On a une réaction épidermique, on est effrayé. Le film est magnifique malgré son thème effroyable, tout est suggéré par le hors-champ, la non-profondeur de champ. On entend le bruit des fours, le bruit de ces affreuses "usines" à tuer. Le film ne dispose d'aucune musique. Tout est laissé au naturel, pour correspondre à la réalité qu'était Auschwitz-Birkenau. Le son est bruyant, nous transperse puis vient des moments d'accalmie mais pour un bref instant. La mise en scène est magistrale et nous présente un angle de vue tout à fait différent de ce qu'on a pu voir jusqu'à aujourd'hui. Ici, pas de scénarisation policée. Uniquement, un film qui s'inspire des manuscrits laissés et cachés par les Sonderkommando. Le film nous plonge dans l'enfer concentrationnaire.


Le film nous rappelle Shoah de Claude Lanzmann, mais aussi les livres de Primo Levi ou bien de Imre Kertesz Etre sans destin . Ce film aurait pu s'appeler Etre sans destin, Saul cherche désespérément à vivre, à retrouver la trace d'une vie enfuie, d'une jeunesse irrattrapable. Il découvre son fils mort qu'il va chercher à faire enterrer par un rabbin en lui faisant prononcer le kaddish (pour faire sanctifier son "fils") et l'enterrer dignement. Laszlo Nemes nous présente ici un premier film magnifique, glaçant, horrifique qui risque de marquer le cinéma mondial. Nous assistons sans doute à l'arrivée d'un futur ou déjà grand réalisateur hongrois aux côtés de Bela Tarr, Miklós Jancsó. Une expérience cinématographique qui ne nous laisse pas indemne. La qualification de ce film de chef d'oeuvre n'est pas en faire trop, un chef d'oeuvre est un film qui divise, qui fait débattre, qui est "parfait" que cela soit sur le fond ou la forme, c'est aussi un film qui laisse libre cours à l'imagination du spectateur pour en faire sa propre interprétation. Le Fils de Saul est sans contexte l'un des plus grands et plus beaux films de cette année et qui marquera l'histoire du cinéma mondial je l'espère.


Ce film est une épreuve physique, psychique. Sans doute, un moment de cinéma qui me marquera pendant de très longues années.

balconenforet
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le 28 oct. 2015

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balconenforet

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