Bien malgré lui, Le Garçon et la bête pose une question à laquelle pas mal de gens semblent avoir déjà répondu : Mamoru Hosoda est-il le digne successeur de Hayao Miyazaki ? Osons contredire l'avis général en affirmant que ce n'est pas le cas, chose qui serait simple à formuler si son dernier travail était un mauvais film, et pas seulement une oeuvre en demi-teinte.


Très honnêtement, j'ai davantage d'affection que de réserves pour le travail de Hosoda. Si j'ai découvert son approche avec La Traversée du temps, romance adolescente mâtinée de SF, il m'a fallu me rendre à la même évidence qu'avec Les Enfants loups : Ame & Yuki : à mon sens, ils résistent moyennement à un second visionnage. Leurs qualités sont bien là mais révèlent la structure en deux temps qu'adopte Mamoru Hosoda film après film, soit une heure d'exposition brillante et stimulante, puis une seconde moitité qui tourne gentiment à vide. Le constat vaut également pour Summer Wars, comédie estivale mêlant cellule familiale et mondes virtuels. J'avais espoir que Le Garçon et la bête me transporte vers les mêmes sommets que la découverte de ces trois films, avant que le second tour de piste n'entame (peut-être) mon enthousiasme.


C'était sans compter sur deux ennemis retors : la mémoire et l'habitude. Après trois films, il est permis de redouter dès la première séance cet essoufflement à mi-métrage. Et comme un fait exprès, il survient le plus naturellement du monde, confirmant la capacité extraordinaire du metteur en scène à exposer ses enjeux, puis sa difficulté à les affiner. La rupture est d'autant plus visible que Le Garçon et la bête perd en spontanéité, et en intérêt, dès que son héros humain passe de l'enfance à l'adolescence. Avant cela, il y a de quoi être ravi d'avoir payé son ticket, le film alignant les passages savoureux avec une facilité déconcertante, les rapports entre maître et élève cimentant la découverte progressive d'un apprentissage souvent drôle. Sans jamais moquer ses personnages principaux et secondaires, Hosoda les croque avec un art consommé de la caractérisation.


Dommage que le cinéaste ait à ce point besoin de sécurité dans la deuxième heure, l'homme transformant ses dialogues en véritable manuel à destination des plus jeunes pour bien saisir, intégrer puis comprendre des enjeux pourtant limpides, voire prévisibles. C'est d'autant plus dommage que Le Garçon et la bête offre, avant cela, tout ce que le dernier Star Wars s'est efforcé de mettre au placard : un temps de maîtrise nécessaire pour contrôler une force surnaturelle, et savoir l'utiliser à bon escient. Malgré cette réussite incontestable, la deuxième heure du film bute sur un personnage féminin très fade et sur un héros qui perd en charme à force de prendre des poses torturées. Hosoda emmène son intrigue de façon un peu laborieuse vers un grand final qui peut laisser indifférent, comme s'il avait déjà tout dit, malgré une redéfinition symbolique des rapports entre les héros.


Perdu entre des allers-retours qui survolent une intrigue jadis enthousiasmante, Le Garçon et la bête affiche clairement les forces et faiblesses de la méthode Hosoda dès qu'il entame sa deuxième heure, et l'on s'en veut presque de ne pas être né plus tard pour savourer ce film du haut de nos douze ans. Rien de péjoratif dans cette remarque, Le Garçon et la bête étant un bel exemple de film pour gosses qui saura les captiver tout du long, porté par un souci du détail et un sens du mouvement bien réels. Mais il perd progressivement la résonance de ses débuts, plus encore que Les Enfants loups, autre récit dont le protagoniste masculin central cherchait un équilibre entre sa nature profonde et le monde où il évolue. Une belle problématique à qui il manque ici, au hasard, la douceur virtuose d'un Ponyo sur la falaise ou la densité vertigineuse d'un Château ambulant ; ce dernier film devant être réalisé par Hosoda avant qu'il ne soit congédié par Ghibli.


Reste donc une question, très personnelle : les qualités du cinéma de Hosoda n'ayant nul besoin de cette comparaison pour s'épanouir, est-il réellement nécessaire que Hayao Miyazaki se trouve un héritier aujourd'hui tant son oeuvre semble, de l'avis de tous, inépuisable ?


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le 19 janv. 2016

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