Le Gouffre
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Le Gouffre

Court-métrage de Vincent Le Port (2015)

Le vertige du réalisateur face à sa propre œuvre.

C’est avec l’œil de Béla Tarr et la main de Robert Bresson que Leport livre son moyen métrage d'épouvante « Le Gouffre ».

On y suit très succinctement une femme à la recherche d'une enfant disparue, qui tombe sur le secret bien gardé jusqu’alors du village.

Le récit est court, 50 min. C’est indéniable, mais cela ne touche pas à sa puissance émotionnelle et esthétique.


Car oui, le film est chargé graphiquement. Le noir et blanc n’est pas un pis-aller. Ce n’est pas un « faute de mieux ». Dans ce choix décoloré, on trouve davantage un morceau indépendant du monde. Celui créé par Leport. Cette graphie fait écho aux films d'épouvante de 1940-50. Mais j’y vois plus un geste bélatarrien. Comme Le Cheval de Turin, le noir et blanc est sadique.


Tiens ! En parlant de l'inspiration de Leport vis-à-vis de Béla Tarr. Un autre point est essentiel au film : son caractère contemplatif. Lenteur, douceur ou démoniaque. Bref, le film est beau, il construit son univers plan par plan. Mis bout à bout, forment ce décor glaçant. C'est un monde fait de composantes, démembré de couleurs et membré d'images ô combien grandioses de scéno...


...graphie. En parlant du loup, le loup des montagnes, celui qui rôde au-dessus des réalisateurs. Comme le bonheur rôdant à Thèbes. Visible, mais hardiment attrapable. Compris, mais mis en place ? Bref, en tout cas Leport met en scène ses manifestes. Il fait montre d'une austérité scénique. Le vide prend une place prépondérante, au moins autant que les gros plans bergmaniens. C'est la dichotomie ou le divorce consommé des images. Entre vide et plein, entre ici et lointain. En effet, « ici et lointain », parmi ses préceptes visuels pertinents, il y a la profondeur de champ. Comme l'énoncé précédent, elle s'obstrue puis respire. Dans un enchaînement subtil. La mise en scène théâtrale est pratique. Celle du cinéma est sublime. Et celle de Leport réussie. (Faut que j’arrête les triptyques adjectivaux.)


Cette fois j’ai pas de transition mais je vais parler des musiques. Ou non, de ses sonorités. À la fois extra et intra diégétiques. La musique elle, elle est fine, comme un rejet, ou l’image du scénario. Bien placée elle ne dit pas « là ressentez ça ». Ceci dit dans cette substance filmique le travail du son est subtilement établi. Des bruits de pas à celui de la cloche, tout y est réfléchi. Réfléchissant le scénario, certains choix musicaux sont maladroits, très peu, mais par exemple le motif de la goutte d’eau tombant et résonnant. Sérieusement ? Dans une forêt ? Où elle pourrait tomber ? Elle résonne ?! J’avoue que ça m’a un peu sorti du narré, et provoqué des émulations comiques en moi. Mais c’est pas grave je ne suis pas de ceux qui bavent de cohérence.


Maintenant, je voulais parler du scénario, j’ai beaucoup de mal avec les critiques scénaristiques. Après tout c’est le propre des livres de relater avec qualité ou non une histoire ? Le cinéma est un objet esthétique. Nan ? Me voilà parlant seul comme un fou, se rassurant dans sa bêtise. Eh bien je pense que oui, mais celui qui n’a rien à dire n’a rien à montrer.


Le scénario est simple, prosaïque. Une disparition puis un mystère dévoilé. Mais c’est sacrément bien. Pas du jouissif marvellien ou conjuringien (faut aussi que j’arrête « nom propre + ien »). Le film n’est pas une extase sublime de l’horreur. Nan il se meut dans plus fin que ça, dans la subtilité. Il a de la finesse à percevoir des nuances. Leport s’amuse à l’exercice du raconté. Il le fait si bien que je m’en veux d’avoir méprisé ce caractère si essentiel du cinéma. (L’esthétique reste le plus important)


En bref, c’est simple il s’agit d’un excellent film. Il esquive les bêtises d’ornementation. Les vanités d’histrionisme saugrenu. Les plans en « miroir mon beau miroir ». Et j’espère avoir fait de même ici.



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