Un joli voyage dans l'humanité
« La nuit sacrée » est la suite de « L’enfant de sable » et une fois de plus les mots de Tahar Ben Jelloun parlent à mon âme. Après une vie de mensonges, Ahmed devient une femme...
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le 24 juil. 2017
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« La madeleine de Proust » ? Désormais on dira aussi « la folie de Benjelloum ».
Ahmed, une femme qui s'est travestie en homme toute sa vie, décide d’assumer ouvertement son identité et de vivre en étant elle-même. On la suit, débarquant dans une ville où elle est accueillie par un étrange duo : le Consul et sa grande sœur protectrice, l'Assise.
Voilà une histoire ô combien troublante. Elle pousse la conscience et la notion de morale jusqu’à leurs limites. On y parle d’inceste, de toxicité familiale, amoureuse, et parfois des deux en même temps. Mais Mehdi n’est pas un Kant, ni un Spinoza. L’éthique n’est pas un axiome pascalien. C’est une question. Passion, raison, dilemme cornélien. C’est toute la dichotomie de l’œuvre.
Mais l’intérêt manifeste de Benjelloum est sa prose. Une telle manière d’écrire. Une poésie en vers libre : « ce jaune est agréable à toucher ». Des images, un ton lyrico-philosophique. On tient ici les deux grandes affaires de l’œuvre, canon aux traditions nietzschéennes. Lyrique parce que : « l’ombre vacillante du souvenir », et philosophique : « l’enfer est en moi ». Comme un « foutons ça en l’air » des axiomes sartriens.
Qu’en est-il réellement de l’esthétique lyrique du livre ? C’est de la solitude dont il est question, adjacente à une profonde souffrance. Elle est déclinée comme sur une palette, sous toutes ses formes. Lumineuse, vertigineuse, irritante, la douleur est relevée dans tous ses membres. Chaque personnage est perçu par une fenêtre lyrique, projetant l’agonie universelle, ce caractère si propre à chaque homme. Dès lors, l’espace lyrique s’impose à la forme prosaïque. Lentement, et à mesure de l’œuvre, le pathétique prend place. Cependant, dans le dernier tiers du roman, on tombe dans l’ostentation. Les mots semblent emplis de vanité. Comme si Tahar voulait être à la hauteur de Tahar. Ce que je perçois, c’est une chute de qualité dans sa prose. Le geste est répété machinalement. Les philosophes allemands diraient : « le déclin de l’homme ».
Transition toute trouvée. Bien que le style fasse défaut par moments, la colonne vertébrale benjelloumienne reste son caractère philosophique. Déjà investi à la fois dans le style et dans le signifié, le lecteur passe hardiment à côté des topiques nietzschéens. Une femme venue du crépuscule, descendant des montagnes. Qui est-elle ? Elle, Zarathoustra perdue. Une femme perdue, confrontée aux regards perdus de l’aveugle. Comment ne pas voir Sartre ? Tahar, cet insolent, défie la pensée des intellectuels. La morale, les autres, la religion... Bref, il pense. Et dans la mythologie benjelloumienne, l’enfer est moins les autres que en moi.
C’est donc dans ce diagnostic nihiliste que je pourrais traiter de mon précepte favori : celui de la dichotomie réalité/imaginaire. Symptomatique de la folie d’Ahmed, mais facteur du trouble identitaire de celle-ci. On sent comme une chute qui aboutira à l’enfermement du corps d’Ahmed. Dès lors, la réalité ne fait aucun doute. Souffrant de sa mutilation, elle perd contact avec l’imaginaire, l’abstrait, la fantaisie. Elle n'a plus de sexe feminin ni d'identité masculine, l'inverse est vrai. Un dasein heideggerien, un corps laché au flux vital.
Parlons simplement : j’ai lu un ouvrage marquant, certes. Qui résonne dans mon moi d’esthète, mais aussi de philosophe. Malgré ses défauts, emphases ou ornements vains occasionnels, il reste un livre bien écrit, avec un soin apporté à la fois au style et à ses réflexions. Un beau livre. Qui n’a pas su atteindre l’excellence. Pas grave. C’était sympa à lire, ça me suffit.
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il y a 6 jours
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