Après le très bon Miss Sloane, l’an passé, revoir Jessica Chastain à l’affiche d’un film de type biopic dans Le Grand Jeu était légitimement source de grands espoirs, notamment avec la découverte conjointe de la première expérience d’Aaron Sorkin derrière la caméra. Ce dernier a notamment scénarisé le Steve Jobs de Danny Boyle et le très bon The Social Network de David Fincher. Comme j’en parlais dans mon article sur Hardcore, le passage du scénario à la réalisation a été pour certains une vraie réussite. Directement affublé de nombreuses comparaisons avec Le Loup de Wall Street, Le Grand Jeu avait donc la difficile tâche de lancer 2018 en grande pompe. Pari réussi ?


On constate, assez rapidement, dans la présentation du personnage, sa personnalité et dans le déroulement des événements, un certain nombre de similitudes avec The Social Network. Un montage nerveux et une mise en scène parfois plus lente et empreinte de cynisme. Cette dualité s’accorde avec le personnage de Molly Bloom, représentation de la réussite à l’américaine, de la volonté d’accomplir de grandes choses et d’être sans cesse en compétition, mais qui, hasard du destin, devra emprunter une voie bien moins louable et clandestine. Le personnage de Molly Bloom s’inscrit dans la lignée de nombreux personnages déjà traités à l’écran, habités par une volonté de réussir mais qui, à cause des circonstances, se heurtent à l’échec et doivent se murer dans l’illégalité (on pense par exemple à Eddie Bartlett dans Les Fantastiques Années 20 ou James Allen dans Je suis un évadé).


Cependant, le film ne s’arrête bien entendu pas ici en termes de thématiques à développer. Si la comparaison avec Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese peut paraître abusive et un brin racoleuse, elle n’en demeure pas moins infondée étant donné la volonté d’Aaron Sorkin de s’attaquer ici aux dérives liées à l’argent et à l’attirance irrésistible qu’il peut engendrer. Molly Bloom, au fil de son ascension, devient certes addict à diverses drogues, mais la principale reste sans conteste l’argent. Elle affecte cette dernière, mais encore plus les joueurs qu’elle invite à ses tables de poker, emprisonnés dans une spirale où les gains attirent la volonté du gain, et les pertes nécessitent les gains. Le poker est au cœur de l’activité de Molly Bloom, mais il symbolise à lui-même le déroulé de l’intrigue, et la vie de Molly qui, fatalement, se trouve sans cesse à devoir des risques de plus en plus grands et à s’exposer à des pertes toujours plus importantes.


La thématique de l’argent affecte beaucoup le public, notamment depuis la crise des subprime qui sévit depuis dix ans et a sévèrement entaché l’image des institutions financières. Le Grand Jeu parvient plutôt bien à parler de réussite et à substituer celle-ci à la quête d’argent, symbole de réussite dans la société moderne, ainsi qu’à montrer ses travers. La métaphore du poker, nourrie par le vrai récit de la vie de Molly Bloom, bien que peu subtile, s’ancre relativement bien dans cette démarche. L’idée, d’ailleurs, de l’associer à un avocat, servant la justice, mais aux honoraires hors de prix, alimente d’autant plus cette influence de l’argent sur nos jugements et nos actes.


Cependant, quelques doutes et frustrations subsistent. Le film semble vouloir par moments aller très vite, voire trop vite, quitte à égarer son spectateur dans une volonté de l’étonner et de le rendre impuissant face à la force de frappe du film. Mais cela a davantage tendance à créer des ramifications qui dispersent le film, dont on ne sait pas vraiment, à certains moments, où il veut en venir. Le tout, par ailleurs, débouche étonnamment vers un dénouement certes satisfaisant voire jubilatoire, mais qui paraît bien trop beau pour être vrai. Il en résulte, finalement, qu’en réadaptant la thématique du Loup de Wall Street et en lui donnant des airs de The Social Network, Le Grand Jeu partait sur un mélange gagnant mais que, bien qu’en étant globalement réussi, il demeure incertain et en-deçà de son potentiel.

JKDZ29
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le 29 janv. 2018

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