Expérience intéressante que de revoir un film deux/trois jours après avoir lu le roman dont il est tiré. Avec en tête le livre de Chandler, soudain le film s'éclaire, on comprend ce qu'il se passe!
Car Le grand sommeil est très fidèle au roman, est-ce de sa faute si l'intrigue dudit roman est un peu distendue? Il y a même des dialogues qui sont repris mot pour mot. Mais ce ne sont pas les points communs qui vont m'intéresser, plutôt les différences, et ce qu'elles disent du cinéma hollywoodien de cette époque.
 Les différence la plus évidentes, c'est l'ajout d'un méchant, non pas que Eddie Mars soit absent du roman, mais enfin son rôle n'est pas tout à fait le même. Et surtout, l'ajout d'une romance entre Humphrey Bogart et Lauren Bacall, un duo entré dans la légende. Ceci était sans doute nécessaire à un produit hollywoodien, et change pas mal la fin de l'histoire. Il y a d'ailleurs à ce compte-là une différence dans cette fin qui est très symptomatique, mais que je ne vais pas évoquer ici, car c'est un spoil bien trop gros.
 Deux remarques d'ordre général : - La scène où Marlowe demande à la libraire d'en face de décrire Geiger est bien dans le roman. Mais l'histoire des lunettes n'y est pas : forcé de rester à cause d'une pluie battante, Humphrey Bogart et la libraire flirtent, et alors qu'elle enlève ses lunettes, il découvre soudain que cette femme est bien sexy. La femme à lunettes est, dans les films, celle qui est intellectuelle, généralement parce qu'elle n'est pas séduisante. On retrouve dans plusieurs films cette idée, qu'une femme, si elle veut séduire un homme, doive enlever ses lunettes (en espérant que son problème de vue ne soit pas trop impactant!).
 -Geiger possède dans le roman, et sans doute dans le film aussi, une combine de vente de livres pornographiques. Mais dans le film, on ne peut pas comprendre de quoi il est question, car ce n'est pas évoqué. De même, la photo de Carmen servant de base au chantage ne sera jamais montrée, Bogart prenant bien soin de la tenir à un angle qui la rend invisible des caméras. Quant au fait que Marlowe trouve deux fois Carmen entièrement nue, cela ne sera pas, dans le film. Film qui, par ailleurs, n'est pas avare de morts à l'écran, par pistolet ou poison. Curieuse pudibonderie de la morale post code Hays, qui interdit de montrer un bout de sein ou un morceau de fesse, mais en revanche, les meurtres et la violence, pas de souci, on vous invite même à vous y identifier, dans la mesure où le héros, Marlowe, ne répugne pas lui-même à y avoir recours. On peut se moquer, mais il me semble bien que cette (curieuse) moralité soit toujours celle à l'oeuvre dans les réseaux sociaux d'aujourd'hui.
Le grand sommeil sans avoir lu le roman, c'est un peu difficile à comprendre, mais cela fonctionne pourtant, car c'est une atmosphère, ce sont des répliques excellentes, dont certaines sont même inventées pour le film. L'échange, par exemple, entre Marlowe et la chauffeuse du taxi, est très bon, et ne vient pas du livre, où le chauffeur était un homme. Une très bonne adaptation donc, en plus d'être un grand film noir. Humphrey Bogart imposera sa marque sur le rôle, au point qu'on pense à lui dès qu'on pense à Marlowe en films, alors que d'autres grands acteurs, comme Robert Mitchum, ont joué le rôle. Et pourtant, Bogart n'était pas le premier, et ne l'a joué qu'une fois. C'est dire si son interprétation était magnétique.