Dumas disait qu'on ne pouvait violer l'Histoire qu'à la condition de lui faire de beaux enfants. C'est un peu ce que décide d'entreprendre Buñuel avec Octave Mirbeau dans cette adaptation plutôt libre de son roman éponyme.
En effet, si les événements diffèrent, parfois radicalement entre les deux, l'intention reste commune: décrire l'universelle noirceur du genre humain, quelle que soit la catégorie sociale à laquelle il appartienne.
L'excellente distribution l'aide admirablement dans ce projet: Célestine, interprétée par Jeanne Moreau, un tantinet trop âgée pour le rôle, campe une femme de chambre à la fois impavide et perverse, dont le regard implacable révèle au spectateur la mesquinerie et la bassesse des maîtres et des valets.
Jean Ozenne, injustement oublié aujourd'hui, interprète le père de la maîtresse de maison, avec ce ton d'exquise politesse aristocratique et doucereuse qui peine à dissimuler des penchants fétichistes inavouables .
Piccoli est le mari de Madame, à la fois priapique et veule, dont les exigences naturelles tentent de se satisfaire auprès des servantes résignées, faute d'une oreille complaisante de son épouse frigide et confite en dévotion.
Le factotum est joué par l'excellentissime Georges Géret, dont le physique bovin l'a souvent cantonné aux rôles de brutes épaisses. C'est encore le cas ici: une espèce de monstre libidineux et sadique qui jouit de la souffrance d'autrui, exècre juifs et "métèques", et qui viole et tue une petite fille. C'est presque trop, n'en jetez plus!
Une petite mention à Jean-Claude Carrière, coadaptateur du roman et collaborateur de longue date de Buñuel, qui incarne fugitivement le curé du village, plein de componction et de mièvrerie ecclésiastique.
On le voit, personne n'est épargné dans ce portrait au vitriol de la société rurale française, rendu avec une certaine virtuosité cinématographique, voire un académisme inattendu chez le réalisateur du "Charme discret de la bourgeoisie".