Bertrand Tavernier est un brillant réalisateur. Il fait de Joseph Vacher l'éventreur, Joseph Bouvier victime de la société et chantre de la révolte sociale.


Les chansons de l'époque sont nombreuses et il y en a pour tous les goûts, mais "Le temps des cerises" n'est pas suffisamment explicite. Il fait composer "La commune est en lutte" par Jean-Roger Caussimon. Les chansons cocardières de Paulus ne sont pas assez ridicules, il fait écrire "Sigismond le strasbourgeois".


Dans sa folie, Bouvier est délicat. Lorsqu'on lui demande de raconter ses meurtres, il refuse: "Laissons ça, c'est trop laid". Et lorsque c'est le juge qui lui parle des constatations légales: "Vous dites de bien vilaines choses, mon juge". C'est le juge qui parait monstrueux.


Le juge est un bourgeois, donc un salaud. Son seul objectif est d'obtenir de l'avancement et des décorations. Il traite sa maitresse avec le plus grand mépris, lui faisant l'aumône à l'occasion. Elle devient le symbole de la classe ouvrière exploitée. On finit même par opposer les douze meurtres reconnus par Bouvier a 2500 enfants qui seraient morts dans les usines.


L'affaire Dreyfus devient une affaire de classe, alors qu'elle a divisé la France verticalement en coupant à travers les classes sociales, les familles, les collègues de travail.


Mais le véritable sujet est celui de la responsabilité pénale. Le juge Rousseau ne manipule pas seulement Bouvier, mais la presse pour que le coupable ne soit pas reconnu irresponsable, qu'il soit condamné à mort. C'est là que Tavernier se trompe le plus lourdement, car ce peuple qui demande plus de justice sociale, veut aussi plus de sécurité. En réalité on ne le manipule pas comme ça. Pour la majorité de la population, au contraire de la justice, la folie est une circonstance aggravante. Pour la population, la justice doit avant tout servir à la protéger, et pour cela retirer ceux qui constituent un danger. Les fous sont les plus dangereux. Internés, ils apprennent à contrôler leurs discours délirants et au contact des médecins à pratiquer le langage qu'on attend d'eux. Le risque est alors grand de les voir libérer.


Bertrand Tavernier, nous fait donc un gigantesque amalgame manipulateur. C'est dommage car il y avait matière à traiter tout cela de façon honnête car il est vrai que dans cette période post-boulangiste, les acquis sociaux du second empire avaient paradoxalement bien reculé et que la vie était très difficile pour les ouvriers dans toute l'Europe au début de l'ère industrielle. Par ailleurs le mensonge est très bien écrit et les acteurs superbement dirigés donnent un relief et une "vérité" à leur personnage qui feront pour chacun d'entre eux un de leurs meilleurs rôle.


Je tiens donc ce film pour détestable malgré, ou même à cause du talent de Tavernier.

-Marc-
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le 4 juin 2014

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-Marc-

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