Rire et Pleurer

Dans le genre du burlesque américain, Charlie Chaplin est bien entendu la référence absolue. En ayant créé le personnage de Charlot en 1914, en s'inspirant de Max Linder, l'acteur et réalisateur aura marqué l'Histoire du cinéma, mais également l'inconscient collectif à tout jamais. Aujourd'hui même un néophyte saura vous situer Chaplin alors même qu'il n'aura vu aucun de ses films au préalable, preuve de son importance. Réputé pour son mélange d'acrobaties et de poésies, Charlot aura droit à un grand nombre de films le mettant en valeur. "The Kid", sorti en 1921, reste selon moi l'une de ses plus belles créations à ce jour.

Le récit présenté est le suivant (je précise qu'aucun spoiler ne sera présent ici) :
Un enfant est abandonné par sa mère. C'est alors que celui-ci est recueilli par Charlot, un pauvre vitrier qui va tenter de l'éduquer du mieux qu'il peut malgré sa misère économique et sa maladresse.

C'est en 1918 que le cinéaste créera sa propre firme de production afin d'obtenir une totale liberté artistique. La sortie de "The Kid" est très importante pour lui, il s'agit d'un long-métrage où il se représente petit. Chaplin nous raconte un récit librement autobiographique s'inspirant de sa propre enfance et du thème de l'abandon. Dans les rues de Londres (rappelons qu'à la base il est anglais), l'artiste aura connu par le passé l'abandon, la misère et la faim avant de rejoindre une troupe de Music-Halls.
Ce qui frappe dès lors le spectateur, c'est cette façon dont Charlot (et par conséquent Chaplin lui-même) semble répondre physiquement ainsi que psychologiquement au jeune homme et inversement. Les deux personnages ne sont en fait que les deux faces d'une même pièce et leur rencontre semble presque inévitable. L'enfant est présenté explicitement comme une version plus jeune de Charlot, aussi bien dans l'aspect vestimentaire que dans les mouvements et la philosophie de vie. De cette façon, le cinéaste s'adresse à lui-même, mais aussi aux plus démunis. La relation qui unit ces deux personnages se montre profondément touchante et ne tombe jamais dans la facilité. Le récit joue habilement avec cet aspect très intimiste et s'en sort à merveille. Chaplin aura toujours réussi à trouver le juste milieu entre l'humour et la poésie et atteint ici des sommets rarement égalés dans l'Histoire du cinéma.

Concernant la caractérisation du genre burlesque au sein du métrage, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un exemple fondamental dans ce domaine. Certes, lorsque nous évoquons ce genre précis, plusieurs artistes nous viennent en tête comme Buster Keaton ou bien Harold Lloyd, mais c'est bien évidemment Charlie Chaplin qui en restera le visage le plus connu et le plus représentatif. Ce dernier utilise à la perfection tout les concepts qu'il a lui-même contribué à perfectionner au cours des années.
Charlot est bien entendu l'incarnation évidente et parfaite de ce que l'on appelle le "personnage type". Il possède des caractéristiques directement identifiables dès son apparition, que cela soit dans son apparence, son style vestimentaire, sa démarche ou ses expressions. Chaplin exécute un décalage physique et social avec son environnement et la société dans laquelle il vit. Le cinéaste illustre également parfaitement cette idée de proposer un corps élastique permettant de multiples acrobaties menant bien souvent au slapstick. Ce dernier élément est destiné à créer un gag immédiat servant au développement du récit et de différentes situations présentées à l'écran. "The Kid" contient également un détournement d'objet avec la scène culte où le bébé boit dans une théière comme dans un biberon (d'autant que cette utilisation est en raccord avec le récit et le concept de pauvreté ne permettant pas de toujours posséder les ustensiles adéquats).

L'intérêt d'énumérer ces différents concept a du sens ici dans le fait que Chaplin ne se suffit pas à les utiliser de façon traditionnelle. Le métrage peut s'apparenter, quelque part, à une transmission. L'enfant, destiné à être le miroir de Charlot adulte, sera lui même pratiquant et acteur de ces élément typique du cinéma burlesque américain. Le jeune garçon reproduit en effet les actions, la démarche et les mouvements de sa figure paternelle. Le genre burlesque n'est donc pas utilisé en simple prétexte, il sert pleinement le récit et ne peut en être désolidarisé. Preuve encore une fois des compétences du cinéaste à maîtriser totalement sa réalisation et ses concepts.

Ce qui obsédera également Charlie Chaplin au cours de sa filmographie, ce seront les thématiques du social et la critique sociétale. Comme dit précédemment, le cinéaste aura vécu la misère et il aura toujours su dénoncer les méfaits de la pauvreté, de l'injustice ainsi que de l'argent. Rappelons d'ailleurs que le personnage de Charlot est avant tout un vagabond, preuve qu'il est confronté à ces concepts. Même si nous comprenons que le métrage tente de nous mener vers un happy end, quelque chose de profondément réaliste et tragique se dégage de l'oeuvre. Cela passe par la subtilité avec laquelle Chaplin travaille sa mise en scène et son écriture. Certaines séquences semblent criantes de vérité près de cent ans après la sortie du film.
Le cinéaste offre peut-être son film le plus triste dans tous les sens du terme. Même si celui-ci est devenu immensément riche au cours de sa vie et ses succès, il n'aura jamais dans ses oeuvres mis de côté ses origines et, d'une certaine manière, sa sincérité vis-à-vis du public et de sa propre personne.

"The Kid" est, à mon sens, l'une des oeuvres les plus fascinantes et personnelles de Chaplin. L'humour est fortement présent, mais il s'agit probablement de son film le plus poétique, mais aussi de son plus triste et tragique par moments. Les émotions que l'acteur/réalisateur véhicule dans "The Kid" sont nombreuses et ne laisseront personne indifférent tant la justesse et la qualité d'écriture se subliment. Il est incroyable de constater à quel point ce métrage fonctionne encore parfaitement et réussit à nous émouvoir sincèrement près de cent ans plus tard (il me semble bon de le rappeler).
Le burlesque eméricain est l'un des genres cinématographiques vieillissant le mieux. En ce qui concerne ce métrage de 1921 la question ne se pose même pas, n'importe qui découvrant le film aujourd'hui sera autant touché que le public d'époque. Charlie Chaplin était un génie qui aura marqué le cinéma d'une empreinte absolument indélébile. "The Kid" est l'une des nombreuses preuves que le cinéaste était totalement en avance sur l'industrie du cinéma et sur son temps.