C’est l’éclatement du point de vue, redoublé par une construction en labyrinthe constituée, en réalité, de deux flashbacks principaux qui se suivent et finissent par aboutir au même point narratif – un procédé similaire était déjà employé, par exemple, dans l’introduction de La La Land –, qui donne à ce Lac aux Oies sauvages son aspect le plus factice, voire ridicule par instants, où l’enchaînement des séquences ne semble instauré que pour perdre le spectateur dans un dédale de rues et de nuits qui, à cause de ce saut de puce permanent, échoue à embarquer un regard qui devrait être captivé non par l’artificialité du montage, mais bien par sa propre incapacité à s’orienter, à trouver ses repères parmi des personnages spectraux, d’incessantes courses-poursuites à moto, des échanges langagiers dont nous ne percevons que des fragments épars et obscurs
Le réalisateur adopte un rythme en dents de scie qui ne retranscrit ni le lyrisme noir d’une déambulation ni la paranoïa d’un fugitif que mafieux et policiers traquent sans relâche. Bien au contraire, nous avons l’impression d’assister à une rixe au loin depuis une fenêtre dans laquelle l’action viendrait se colorer de mille et un reflets déformants et approximatifs, conservatoire kaléidoscopique d’une vision d’artiste qui pioche à gauche à droite, agrémentant de poses grandiloquentes et de prestations parfois peu convaincantes sa mixture à la manière de cette soupe de nouilles qui intervient en fin de film.
Néanmoins, ces fragilités congénitales ne doivent pas cacher une première partie très efficace qui, une fois passée la laborieuse rencontre des deux protagonistes principaux sous une pluie battante avec formules mystérieuses et jeux de cache-cache entre les murs de béton, compose une rudesse poétique, met en image cette puissance tragique propre au genre du polar : la compétition de motos est virtuose, tout comme le glissement brutal d’une œuvre axée sur l’opposition entre deux groupes (ou gangs) à celle d’une lente agonie solitaire. En ramenant la survie à ce qu’elle a de plus primale et paranoïaque, en transformant les visages de ses personnages en masques de duplicité potentiels, Le Lac aux oies sauvages capte une humanité revenue à l’état sauvage, dimension accentuée par une scène de traque dans un zoo aussi déconcertante que pertinente.
Enfin, la grande qualité du long-métrage réside dans son travail du son : le réalisateur réussit à nous immerger dans une ambiance urbaine faite de coups de pistolet, de cris, de pétarades motocyclistes et surtout de pluie, de cette pluie qui n’arrête de couler sur l’écran qu’au détour de brèves scènes de plage à la puissance visuelle aussitôt décuplée.
Trop expéditif et pourtant trop long par moments, Le Lac des oies sauvages est traversé de fulgurances qu’il ne sait comment agencer, ou plutôt qu’il choisit de désorganiser en pensant là accroître leur potentiel énergétique. L’œuvre aurait gagné à resserrer son intrigue autour de la seule focalisation de Zhou Ne-Nong, ou à penser une véritable répartition des points de vue plus en phase avec la mécanique de l’action tragique. En résulte une ébauche de chef-d’œuvre qui s’éparpille trop et se contente souvent de reflets, là où il pouvait viser le cœur (ou les cœurs) de ce cauchemar éveillé.