Si j'avais croisé la route du "Lauréat" il y a quelques années, je n'aurais sans doute pas été emballé : pour une raison simple, le scénario importe ici bien moins que la mise en scène.
A mes yeux, le héros interprété par Dustin Hoffmann serait probablement apparu agaçant dans son apathie chronique, sa bienséance surannée et ses obsessions soudaines ; et d'ailleurs, ce Benjamin Braddock est effectivement pénible, s'entichant inexplicablement d'une donzelle plutôt quelconque, alors que le lascar vient de passer trois ans à Harvard, où les sollicitations n'ont pas dû manquer...
Bien sûr, il faut resituer "The Graduate" dans son contexte (la fin des années 60), ce qui est toujours délicat, mais en tout état de cause, le deuxième long-métrage de Mike Nichols n'est pas dénué de défauts, à l'image de son usage un peu balourd des chansons de Simon & Garfunkel.
Si cette BO fait partie intégrante de son charme délicieux, on aurait pu imaginer une plus grande variété de morceaux (seulement 3 titres en fait : "Sounds of Silence", "Rosemary and Thyme", & bien sûr "Mrs Robinson", que l'on entend finalement très peu).
Hormis ces quelques réserves, "The Graduate", souvent considéré comme le premier film notable du Nouvel Hollywood, consacre sans conteste le talent de son jeune réalisateur Mike Nichols, qui signe une mise en scène brillante, à l'image de certaines transitions magnifiques et de cadrages souvent inspirés.
Son film met en évidence le sentiment de révolte confuse qui habite alors la jeunesse américaine, à l'instar de son personnage central, étouffé par les conventions, la pression sociale et les attentes de son milieu familial.
La génération précédente semble se complaire dans l'american way of life, et impose plus ou moins consciemment à sa descendance de reproduire des valeurs (réussite individuelle, prospérité collective, croyances religieuses, vie maritale,...), dans lesquelles celle-ci ne se retrouve pas forcément. Le choix de Simon & Garfunkel, alors considérés comme des icones de la contre-culture, apparaît d'autant plus limpide de la part de Mike Nichols.
Dans cette perspective, "The Graduate" multiplie les moments de bravoure, durant lesquels la pensée dominante se voit remise en cause, voire ridiculisée, à l'image de cette croix à l'église, détournée de son usage pour permettre d'éloigner puis enfermer les participants à une parodie de cérémonie nuptiale.
Ce genre de saillies humoristiques cohabitent avec des séquences mélodramatiques, contribuant à noyer les frontières habituelles de la comédie, de la romance et du drame, nourrissant ainsi une sensation de léger malaise.
Un film qui a connu un succès aussi considérable qu'inattendu, aux Etats-Unis comme dans le monde entier, illustrant les incertitudes d'une génération et les troubles d'une époque, et qui sera parvenu à nous faire oublier que le jeunot un peu coincé (Dustin Hoffmann) et la cougar impitoyable (Ann Bancroft) n'avaient en réalité que 6 années d'écart (respectivement 30 et 36 ans au moment du tournage)!